passer des antibiotiques par voie intraveineuse aux antibiotiques par voie orale
Vous avez prescrit des antibiotiques par voie orale à votre patient souffrant d’une bactériémie gram-négative après quelques jours d’antibiotiques par voie intraveineuse ? Votre décision est maintenant appuyée par une étude additionnelle publiée dans le JAMA Network Open1.
Au Danemark, la Dre Sandra Tingsgård et ses collègues ont étudié les cas de 914 patients atteints d’une bactériémie gram-négative sans complication traités dans quatre hôpitaux de Copenhague. Les sujets, dont l’âge médian était de 75 ans, présentaient une bactériémie venant généralement d’une infection urinaire (77 %) et, dans certains cas, d’une infection gastro-intestinale (17 %), souvent contractées dans leur milieu de vie. Tous avaient reçu dès le départ des antibiotiques par voie intraveineuse.
À partir des dossiers électroniques, les chercheurs ont sélectionné un premier groupe de 433 sujets qui étaient passés de l’administration d’antibiotiques par voie intraveineuse à la prise orale au cours des quatre jours qui ont suivi leur hémoculture. Ils ont également formé un second groupe de 481 patients qui avaient continué à recevoir les médicaments par voie intraveineuse. Au bout de 90 jours, le taux de mortalité dans les deux groupes était semblable.
Ainsi, pendant le suivi de trois mois, 99 patients sont morts. Dans l’analyse en intention de traiter, le taux de mortalité toutes causes confondues était de 9,1 % dans le groupe qui est passé à la voie orale et de 11,7 % dans celui qui est resté aux antibiotiques par voie intraveineuse. La différence n’est pas statistiquement significative.
L’étude de la Dre Tingsgård et de ses collègues n’a pas la même solidité qu’un essai contrôlé à répartition aléatoire. Néanmoins, elle repose sur un cadre imitant ce type d’étude (target trial emulation framework). Ce genre d’analyse, fait à partir de données d’observation, tente de reproduire certaines des caractéristiques des essais contrôlés à distribution au hasard : critères d’admissibilité, assignation au traitement, suivi, critère d’évaluation principal, etc. L’objectif est de réduire les biais.
« Je trouve intéressant que l’on ait de nouvelles données montrant que l’on peut passer de manière sûre des antibiotiques par voie intraveineuse à ceux par voie orale chez les patients atteints d’une bactériémie gram-négative sans complications. Ces chiffres nous confortent dans notre pratique », affirme le Dr Philippe Morency-Potvin, microbiologiste-infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).
Dans l’étude, une partie des patients passaient à la forme orale de l’antibiotique au cours des quatre jours suivant l’hémoculture. Habituellement, comment s’effectue ce changement ? « Quand on amorce un traitement, on peut se poser la question : est-ce bénéfique de le modifier ? Les effets de cette décision sur le traitement ne sont pas parfaitement connus. Il est possible que l’on n’atteigne pas les cibles pharmacocinétiques du médicament. Souvent, on garde donc le même traitement pendant au moins 72 heures, ce qui correspond à un moment crucial. »
Après ce délai, il est généralement possible de voir si le patient répond aux antibiotiques et s’il présente des signes d’amélioration clinique, comme la disparition de la fièvre. « On peut également disposer d’un antibiogramme qui nécessite, en général, 48 heures, et choisir, le cas échéant, un traitement plus ciblé. Entre 72 et 96 heures, c’est souvent la période clé pour un relais par la bouche ou une diminution des antibiotiques », indique le Dr Morency-Potvin, aussi coprésident du Comité de l’amélioration de l’usage des antimicrobiens au CHUM.
Le type d’étude menée par l’équipe de la Dre Tingsgård apporte des données qui ne sont pas sans intérêt. « Dans le domaine des maladies infectieuses, les essais cliniques contrôlés à répartition aléatoire sont longs, chers et difficiles à réaliser. Le recrutement est ardu, parce que les caractéristiques des patients et des infections sont souvent très différentes. La méthode utilisée par la Dre Tingsgård et ses collègues permet de contourner ce problème », explique le Dr Morency-Potvin.
Mais les conclusions de ce type d’étude ne sont évidemment pas aussi robustes. « Il y a quand même des données similaires qui vont dans le même sens. Avec tous ces résultats, l’expérience que l’on a et nos observations, je suis à l’aise de remplacer au bout de quelques jours un antibiotique par voie intraveineuse par un antibiotique par voie orale. »
1. Tingsgård S, Bastrup Israelsen S, Jørgensen H et coll. Early switch from intravenous to oral antibiotics for patients with uncomplicated gram-negative bacteremia. JAMA Netw Open 2024 ; 7 (1) : e2352314. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2023.52314.