écrans et santé mentale
Les écrans ont des effets sur la santé mentale des enfants de 3 à 6 ans. Leur durée d’utilisation, mais aussi leur contenu influent sur les petits. Parfois de manière bénéfique, parfois de façon nocive. Ainsi, les émissions conçues pour les jeunes enfants sont associées à un plus faible risque de problèmes de santé mentale tandis que celles qui ne leur sont pas destinées sont liées à un risque accru, vient de montrer une étude chinoise1. Au CHU Sainte-Justine, la Dre Evangelia Lila Amirali, psychiatre pour enfants et adolescents, connaît bien la question. « Si le contenu des écrans est inapproprié, l’enfant peut avoir des symptômes d’anxiété ou des troubles du sommeil. Quand on cherche d’où vient un problème, comme une peur, parfois la seule chose que l’on découvre est l’exposition à une scène vue sur un écran. Quand un enfant fait des cauchemars ou a de la difficulté à s’endormir sans qu’il y ait de déclencheur apparent, je cherche toujours un contenu traumatique ou inapproprié. Quelques fois, les parents regardent la télévision et pensent que l’enfant, couché à côté d’eux, dort. Mais il peut être éveillé et être ainsi exposé à un contenu complètement inadéquat pour lui. »
L’étude chinoise a été menée à Shanghai par Mme Haiwa Wang et ses collaborateurs. Ils ont suivi 15 965 enfants de 3 ans nouvellement inscrits dans 191 garderies sélectionnées au hasard. Les chercheurs ont demandé aux parents d’indiquer dans un questionnaire, quand le petit participant avait 3 ans, puis 5 ans, puis 6 ans, le temps que celui-ci passait devant les écrans et de préciser la proportion consacrée aux émissions éducatives, aux émissions de divertissement, aux émissions non destinées aux enfants ainsi qu’aux jeux électroniques et aux réseaux sociaux. Les parents ont aussi rempli des questionnaires d’évaluation sur la santé mentale du jeune sujet.
L’équipe de Mme Wang a observé que le temps d’écran s’est accru avec l’âge. Il est ainsi passé de 2,64 heures par jour à 3 ans à 3,13 heures à 6 ans. « C’est comparable aux durées d’exposition dans les autres pays », précisent les auteurs chinois. Autre constat : les enfants qui passaient plus de temps devant un appareil présentaient un plus grand risque de problèmes de santé mentale (rapport de cotes ajusté pour plus de 4 heures par jour : 1,34).
Quel est le lien entre santé mentale et temps d’écran ? « Premièrement, un temps d’écran excessif peut être associé à une entrave du traitement cognitif, de la compréhension émotionnelle et de la capacité de réguler ses émotions ainsi qu’à un état de surexcitation chez les enfants. Deuxièmement, selon l’hypothèse du déplacement, l’utilisation d’un média supplanterait d’autres activités ayant un effet protecteur sur la santé mentale, comme le sommeil et les interactions parents-enfant », écrivent les chercheurs.
La Dre Amirali abonde dans le même sens. « Ce qui nous préoccupe, c’est que les écrans remplacent le temps consacré à d’autres activités beaucoup plus importantes (comme les interactions avec les parents et les autres enfants) qui contribuent au développement de la régulation émotionnelle. Tout l’aspect relationnel est essentiel. La Société canadienne de pédiatrie conseille moins d’une heure d’écran par jour chez les enfants de 2 à 5 ans. »
Le type de contenu que regardent les enfants est important. Les chercheurs ont découvert qu’une plus grande proportion d’émissions éducatives était associée à un plus faible risque de problèmes de santé mentale (rapport de cotes ajusté : 0,73).
Les émissions pour enfants ont un rythme plus lent, expliquent les auteurs. « Certaines études ont montré que les émissions [pour un public général] peuvent contribuer à la surstimulation du cerveau en développement et nuire aux fonctions exécutives. » De plus, avec leurs éléments prosociaux et leurs personnages qui chantent et parlent directement au téléspectateur, les émissions pour enfants peuvent aider les petits à développer leurs capacités, ce qui est essentiel à leur fonctionnement social et à leur bien-être psychologique.
Les résultats ne signifient cependant pas qu’il faille accroître le temps consacré aux émissions éducatives. « Si l’enfant regarde du contenu éducatif plus longtemps, les bienfaits sur sa santé mentale n’augmenteront pas », précise la Dre Amirali, également professeure à l’Université de Montréal et à l’Université McGill.
À l’opposé, une plus grande proportion d’émissions qui ne sont pas destinées aux enfants était associée à un risque plus élevé de problèmes mentaux (rapport de cotes ajusté : 2,82) à la fois internalisés et externalisés. « Dans ce type de contenu, on a un mélange de toutes sortes de scènes, mentionne la pédopsychiatre. Dans ma pratique, j’ai rencontré des enfants qui avaient vu de la pornographie, de la violence, des images complètement inappropriées pour leur âge ou des contenus traumatisants pour eux. Les émissions qui ne sont pas conçues pour les jeunes enfants peuvent également introduire des notions, des idées et des comportements nocifs pour eux. Les scènes de violence, par exemple, peuvent provoquer une désensibilisation et indiquer à l’enfant qu’il s’agit d’une façon de régler les problèmes. »
L’étude chinoise montre par ailleurs que l’exposition aux médias sociaux augmente entre l’âge de 3 et 6 ans. Elle constituait ainsi initialement 1,5 % du temps d’écran, mais 27 % trois ans plus tard chez les enfants qui passaient moins d’une heure devant un appareil. La proportion consacrée aux médias sociaux n’a toutefois pas été associée à des problèmes de santé mentale. Néanmoins, il faut être vigilant, estime la Dre Amirali. « Dans les Facebook et Instagram, il y a des chansons et des images qui changent. On doit être prudent, parce qu’on ne sait jamais, ce qui peut sortir. J’ai vu des situations où des enfants ont été exposés à des contenus effrayants. »
Pour réduire les risques de problèmes de santé mentale liés aux écrans chez les enfants de 3 à 6 ans, Mme Wang et ses collègues recommandent de limiter le temps d’utilisation, de favoriser les émissions éducatives et d’éviter celles qui ne sont pas conçues pour les petits.
Mais est-ce que les résultats de cette étude faite en Chine peuvent s’appliquer au Québec ? « Malgré les différences importantes entre ce pays et les nations occidentales, l’accès à la télévision, aux médias sociaux et aux écrans s’y ressemble probablement, surtout dans les régions urbaines. Shanghai est une grande ville. Les parents ont, en outre, été capables de participer à un projet de recherche pendant plusieurs années et de fournir les informations nécessaires. S’il y avait un problème potentiel à soulever concernant cette étude, ce serait la sous-estimation du temps d’écran, parce que les parents préfèrent ne pas en indiquer beaucoup. Ce serait probablement pareil ici », estime la Dre Amirali.
Les jeunes enfants constituent par ailleurs le groupe d’utilisateurs d’écrans qui augmente le plus rapidement. On ne peut pas complètement éliminer ces médias de leur vie, affirme la psychiatre. « Ce ne serait pas réaliste. De plus, les écrans peuvent être bénéfiques s’ils ont un contenu éducatif. Ils peuvent favoriser la socialisation, parce qu’ils font partie de la culture commune, même chez les petits. Ils comportent des chansons ou des histoires qui contribuent au bagage des enfants d’aujourd’hui. Quand ces derniers dessinent ou créent, c’est à partir de leur culture quotidienne. Il faut toutefois que le temps d’écran soit limité et le contenu prosocial. »
1. Wang H, Zhao J, Yu Z et coll. Types of on-screen content and mental health in kindergarten children. JAMA Pediatr 2024 ; 178 (2) : 125-32. DOI : 10.1001/jamapediatrics.2023.5220.
2. Takahashi I, Obara T, Ishikuro M et coll. Screen time at age 1 year and communication and problem-solving developmental delay at 2 and 4 years. JAMA Pediatr 2023 ; 177 (10) : 1039-46. DOI : 10.1001/jamapediatrics.2023.3057.