mettez vos honoraires à l’abri
Il semble courant pour les cliniques de percevoir les honoraires des médecins, d’en retirer le loyer, puis de leur remettre le solde. Cette méthode présente des avantages évidents pour la clinique, mais elle ne respecte pas l’Entente ni la réglementation du Collège des médecins. Lors des difficultés financières récentes d’une clinique de Montréal, les honoraires des médecins locataires ont d’ailleurs été saisis, situation qui aurait facilement pu être évitée si les médecins avaient procédé différemment. Traitons-en !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ.
Certains médecins ne sont pas toujours assidus dans la gestion de leurs finances. Les comptes de loyer peuvent « traîner » un peu pour toutes sortes de raisons. Parfois, c’est parce que le médecin a d’autres priorités ; d’autres fois, c’est en raison d’un désaccord sur le montant à payer et à l’occasion, c’est parce qu’il est difficile d’établir le montant exact à payer. Afin d’éviter de telles situations, les cliniques cherchent souvent à percevoir directement le loyer à même les honoraires du médecin afin d’en contrôler la gestion. On peut les comprendre.
Lorsque le loyer est un pourcentage des honoraires, la clinique a aussi intérêt à ce que la facturation reflète toutes les activités permises du médecin. Si le médecin ne se donne pas la peine d’inscrire sa clientèle ou qu’il néglige de réclamer différents suppléments, il devient un locataire moins « rentable », à moins de lui demander un pourcentage beaucoup plus élevé que la moyenne. Les cliniques offrent donc souvent aux médecins de s’occuper de leur facturation à titre de mandataire. Un tel fonctionnement facilite aussi le calcul du pourcentage des honoraires correspondant au loyer, du moins pour les services que la clinique a facturés. Toutefois, certains forfaits ne se facturent pas. C’est plutôt la RAMQ qui détermine le montant et qui verse spontanément la somme due. Si les honoraires sur lesquels s’applique le pourcentage du loyer comprennent de tels forfaits, la clinique qui fait la facturation du médecin ne le saura pas, à moins que ce dernier l’en informe. Le loyer payé sera ainsi inférieur au pourcentage convenu. Et si les services de téléconsultation que le médecin fait de son domicile sont également inclus, mais que le médecin les facture lui-même, cette somme échappera aussi au calcul de la clinique. On peut donc voir que même si la clinique fait la facturation du médecin, elle ne connaît pas d’emblée toute l’étendue de sa rémunération, bien que ça aide.
Par ailleurs, une clinique dont le loyer est à pourcentage peut avoir intérêt à facturer plus que ne le permet l’Entente, ce qui peut se traduire par un risque de récupération en cas de contrôle de la RAMQ. Autrement, le fait que la clinique agisse comme mandataire ne met pas en soi les honoraires du médecin à risque.
Tant que les honoraires sont versés directement au médecin par la RAMQ, le sort de la clinique n’y change rien.
La récente mise sous séquestre des actifs d’une clinique a montré un risque pour les médecins, spécifiquement lorsque leurs honoraires sont versés à un compte de groupe. Dans ce cas médiatisé, les honoraires des médecins ont ainsi été saisis.
Mais pas de panique ! Il y a deux éléments à préciser ici : le type d’organisation de la clinique qui peut faire faillite et la notion des comptes de groupe et les restrictions qui s’y appliquent.
Ce ne sont pas toutes les cliniques qui s’exposent au risque de faillite. Celles où les médecins sont constitués en société de dépenses ne feront jamais faillite, car une telle société n’a pas de personnalité légale. Ce sont donc les médecins qui s’engagent à payer le loyer, les salaires et les dépenses d’exploitation. Ils sont solidairement responsables des dettes du groupe. En cas de manque de fonds, les médecins devront collectivement trouver l’argent. Le groupe, lui, ne fera pas faillite.
Ce sont plutôt les entités constituées en sociétés par actions qui offrent des baux clés en main aux médecins qui y exercent qui peuvent faire faillite. On peut penser qu’une telle éventualité n’arrivera pas, mais au moins un groupe de cliniques de Montréal a dû se placer sous la protection de ses créanciers. Les honoraires des médecins, qui étaient versés à un compte de groupe de la clinique, ont été saisis par le syndic agissant dans le cadre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Lorsque les médecins ont appris la nouvelle, la RAMQ avait déjà versé les honoraires pour un cycle de paiement au compte de groupe de la clinique et s’apprêtait à faire de même pour ceux du cycle suivant. Malheureusement, les médecins n’ont pu bloquer ce deuxième versement au compte de groupe. Les médecins qui avaient rapidement encaissé le chèque de la clinique pour les honoraires du premier cycle ont été payés, mais pas les retardataires. Les montants de ce chèque et les honoraires du cycle de paiement suivant se sont donc retrouvés embourbés dans la saisie.
L’agence de facturation ou la clinique qui fait la facturation pour un groupe de médecins agit comme mandataire. Elle transmet les demandes de paiement et obtient l’information sur les problèmes de paiement au nom du médecin. Un mandataire représente le médecin pour certaines activités. Toutefois, elle ne reçoit pas les honoraires versés par la RAMQ, car elle n’a pas rendu les services médicaux. Elle est un tiers par rapport au médecin.
L’Entente et le règlement du Collège des médecins sur l’exercice en société prévoient des restrictions sur les tiers qui peuvent recevoir des honoraires pour des services médicaux.
L’article 19.03 de l’Entente prévoit que la RAMQ peut seulement verser des honoraires au médecin ou aux tiers suivants qu’il autorise : un groupe de médecins, une société de médecins dont il fait partie et une société par actions de médecins (pour l’exercice de la médecine) au sein de laquelle il exerce ses activités.
Une clinique constituée en société par actions qui appartient à un promoteur ne fait pas partie des tiers autorisés à percevoir directement les honoraires de la RAMQ. Même dans le cas de médecins non participants, le règlement du Collège sur l’exercice en société par actions ne permet pas la rémunération d’une clinique constituée en société par actions pour des services médicaux. Mais concentrons-nous sur les participants.
La RAMQ offre à des groupes de médecins de désigner des « comptes administratifs », communément appelés « comptes de groupe ». Selon les règles de l’Entente, un compte pour le « GMF de la rue Principale » devrait être celui du groupe de médecins, le GMF étant une entité distincte de la clinique au sein de laquelle les médecins du GMF pratiquent. Les montants ne devraient donc pas être versés à la clinique où le GMF de la rue Principale loue ses locaux, car elle n’est pas un tiers autorisé. Un représentant de la clinique pourrait être autorisé à donner des instructions bancaires, mais comme mandataire du groupe de médecins. Le compte ne devrait pas être celui de la clinique.
Malgré ces règles, plusieurs médecins semblent avoir désigné le compte de la clinique comme compte de groupe pour le versement de leurs honoraires. C’est probablement ce qui explique pourquoi les honoraires des médecins exerçant dans la clinique ont été inclus dans les actifs qui ont fait l’objet d’une saisie. En effet, si les comptes de la clinique et des médecins avaient été distincts et que le compte de groupe des médecins avait été clairement identifié, les honoraires n’auraient pu être saisis (encadré 1).
Lors de la mise sous séquestre, un syndic gèle les actifs de la société et dresse l’inventaire de l’ensemble des actifs et des dettes de l’entité. Un syndic peut vendre certains actifs, mais si ultimement il y a plus de créances que d’actifs, l’entité sera mise en faillite. Le syndic devra alors séparer les créances selon leur priorité. Oui, certaines dettes passent avant d’autres (ex. : taxes de vente perçues, retenues à la source sur les salaires des employés, honoraires du syndic ou créances garanties). Une fois ces créances prioritaires acquittées, les dettes restantes sont remboursées au prorata des actifs nets. Essentiellement, si l’actif net de l’entreprise en faillite est de 100 000 $ et que ses dettes générales sont de 1 000 000 $, les créanciers seront remboursés à 10 % de leur valeur. Il ne s’agit pas d’une situation intéressante.
Alors, comment éviter de se retrouver dans une telle situation comme médecin ? Si la clinique perçoit vos honoraires et vous les reverse après avoir pris sa part du loyer, vous pouvez réduire votre risque en encaissant immédiatement les chèques d’honoraires venant de la clinique ou en exigeant le dépôt direct dans votre compte. Mais cette approche n’élimine pas le risque de saisie complètement et ne respecte pas l’Entente.
Un autre moyen d’éviter une telle situation et de se conformer à l’Entente est d’exiger que vos honoraires vous soient remis personnellement ou le soient à votre société par actions. Si vous faites partie d’un groupe et que vos honoraires sont versés à ce groupe (et non à la clinique), vous pouvez autoriser une personne à payer le loyer de chacun à même ce compte et, par la suite, à vous donner « votre part » des honoraires.
Autoriser un tiers à exercer un contrôle sur votre compte bancaire n’est toutefois pas attrayant. Comme les cliniques veulent s’assurer que le loyer sera payé sans retard, plusieurs demandent l’autorisation de vous réclamer le coût du loyer sur une carte de crédit (encadré 2). Vous recevez ainsi directement vos honoraires de la RAMQ, et la clinique facture le loyer sur votre carte de crédit.
Nous avons par le passé expliqué comment un groupe de dépenses peut vous éviter de payer la TPS et la TVQ sur le salaire versé aux employés, situation différente de celle d’un loyer clé en main payé à la clinique où l’ensemble des frais perçus (y compris la part des salaires) sont taxables.
La TPS et la TVQ s’appliquent sur une location clé en main, que le loyer soit payé à partir d’un compte de groupe recevant directement les honoraires des médecins de la RAMQ ou d’une carte de crédit. Il n’y a donc pas d’avantage fiscal à procéder d’une façon ou d’une autre, du moins lorsque vous faites affaire avec une clinique constituée en société par actions qui vous offre un bail clé en main. L’enjeu entre les deux approches est simplement le degré de contrôle dont dispose la clinique sur la perception du loyer.
Confier votre facturation à une clinique ne pose pas de risque de saisie. C’est plutôt le fait que vos honoraires soient versés dans un compte de la clinique qui constitue un risque de saisie. |
Vous louez au sein d’une clinique constituée en société par actions ? Vous n’êtes pas certain des modalités de perception de vos honoraires ? Vous devriez vérifier. Il n’est pas difficile de vous mettre à l’abri d’une éventuelle faillite et de vous conformer aux règles du Collège et de l’Entente. La mise sous séquestre d’une clinique médicale est rare, mais c’est manifestement possible. Mieux vaut donc prévenir que subir, surtout que le coût pour se prémunir d’une telle situation est relativement modeste. Une fois un système sécuritaire en place, vous n’aurez pas à intervenir à répétition. Vous n’aurez à vous en soucier que si la clinique change de propriétaire ou que si vous changez de milieu de travail. À la prochaine !