Nouvelles syndicales et professionnelles

Arrêt de la prise d’antidépresseurs

Symptômes de sevrage et effet nocebo

Élyanthe Nord  |  2024-08-20

NGarel

Bien des patients sous antidépresseurs, enfin en rémission, doivent cesser leur traitement. Que se passe-t-il alors ? Combien auront des symptômes de sevrage ? Combien présenteront plutôt un effet nocebo ? Combien souffriront de graves réactions ?

Jusqu’à présent, on l’ignorait. Les réponses, toutefois, vien­nent d’apparaître dans une nouvelle méta-analyse publiée dans le Lancet Psychiatry : presque un patient sur trois aura des symptômes à l’arrêt de la prise d’un antidépresseur1. Environ un sur six présentera des réactions relevant de l’effet nocebo. Et moins d’un sur 33 éprouvera des symptômes graves. Les données sont donc rassurantes : la majorité des patients passeront aisément à travers la déprescription.

Les auteurs de l’étude, des chercheurs d’Allemagne, le Dr Jonathan Henssler et ses collaborateurs, ont analysé 79 études comprenant 21 002 sujets. Parmi les 16 532 participants qui ont cessé la prise d’un antidépresseur, 31 % ont eu au moins un symptôme de sevrage. Parmi les 4470 qui prenaient un placebo, 17 % ont aussi ressenti des effets néfastes.

Les antidépresseurs dont le retrait occasionnait le plus souvent des symptômes : l’imipramine, la desvenlafaxine, la venlafaxine et l’escitalopram. Ceux qui en donnaient le moins ? La fluoxétine et la sertraline.

Dans de rares cas, c’est-à-dire chez 3 % des sujets prenant un antidépresseur, les symptômes de sevrage se sont révélés graves. Les réactions importantes étaient plus fréquentes avec l’imipramine, la paroxétine, la desvenlafaxine et la venlafaxine. Cependant, parmi les participants qui absorbaient un placebo, quelques-uns, 0,6 %, avaient aussi eu des effets sérieux à l’arrêt de la prise de leur comprimé.

Le biologique et le psychologique

Ainsi, 31 % des patients cessant la prise d’antidépresseurs éprouveraient des symptômes, mais seulement 14 % auraient des réactions réellement causées par le sevrage, puisque 17 % des participants sous placebo ressentaient eux aussi des effets indésirables. Ces différenciations sont-elles importantes ?

« Il est difficile de séparer les éléments biologiques des élé­ments psychologiques, affirme le Dr Nicolas Garel, psychiatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Les deux sont extrêmement liés. Les effets placebos et nocebos sont ancrés dans des processus physiologiques, alors que la réponse aux antidépresseurs est en partie psychologique. Ainsi, quand on arrête le recours à ces médicaments, il y a énormément de facteurs non pharmacologiques qui interviennent. »

Le psychiatre ne fait donc pas de distinction entre sevrage pharmacologique et effet nocebo. « Le message, c’est vraiment qu’un patient sur trois présente des symptômes quand il cesse le traitement, parce que cliniquement on ne fera pas la différence dans notre cabinet », indique le médecin, également chercheur au Centre de recherche du CHUM.

C’est d’ailleurs ce chiffre de 31 % qu’il fournira au patient quand il abordera la question du sevrage. « Simplement parler de ce sujet avec la personne peut lui être très utile. Elle saura que ce problème peut survenir et que ce n’est pas forcément la rechute de sa dépression. Le fait de s’y attendre lui permettra d’interpréter plus adéquatement ses éventuels symptômes. »

Les symptômes qui peuvent apparaître

Quels symptômes peuvent survenir à l’arrêt d’un traitement antidépresseur ? Les plus fréquents sont les vertiges, les maux de tête, les nausées, l’insomnie et l’irritabilité. « Il faut aussi dire aux patients qu’ils peuvent remarquer une anxiété qui vient et qui va, mentionne le Dr Garel. Ils peuvent avoir des problèmes de sommeil et des rêves très intenses. Il est possible qu’ils éprouvent une baisse d’humeur, aient moins d’intérêt pour les activités, ne se sentent pas très bien physiquement, soient plus irritables et aient de brusques changements d’humeur. Certains patients ont des sensations de décharges électriques dans les bras, les jambes et la tête. D’autres nous parlent de répercussions cognitives importantes, un peu comme s’ils étaient dans une espèce de nuage ou de bulle. Ils peuvent également avoir des difficultés de concentration. »

Exceptionnellement, les symptômes de sevrage sont très graves. Le patient a du mal à fonctionner. « Des symptômes envahissants peuvent l’empêcher de continuer ses activités quotidiennes ou de remplir ses rôles professionnels et familiaux. Il peut aussi éprouver une très grande détresse émotionnelle. »

Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, les symptômes de sevrage peuvent parfois persister des semaines, voire des mois. Dans l’étude allemande, leur durée allait de 2 à 196 jours. « La majorité des symptômes se résolvent toutefois en quelques semaines », précise le spécialiste.

Sevrage ou rechute ?

Comment savoir si les symptômes du patient sont liés au sevrage ou à une rechute de sa dépression ? La distinction n’est pas toujours facile à établir. Cependant, certains éléments fournissent des indices, indique le Dr Garel.

Il y a d’abord la nature des symptômes. Dans certains cas, c’est clair. Ainsi, la sensation de décharges électriques est un effet bien connu du sevrage des antidépresseurs. Le patient peut également éprouver des problèmes comme la nausée ou la perte d’appétit. « Les symptômes somatiques ont plus de chance d’être liés au sevrage. En revanche, les symptômes psychologiques ou émotionnels, comme l’irritabilité, la tension, l’anxiété, sont plus difficiles à cerner. »

Le moment d’apparition des symptômes sera donc révélateur. « Quand ils se manifestent tout de suite après la réduction de la dose d’antidépresseur ou de son arrêt, il est probable qu’ils soient liés au sevrage, mentionne le clinicien. La rechute de la dépression, elle, se déroule sur des semaines. »

Les antécédents du patient peuvent aussi donner des indications. Une personne qui n’a eu qu’une dépression et dont l’état est stable a moins de risque de connaître une récurrence qu’une autre qui a souffert de nombreux épisodes dépressifs. « Certains profils cliniques sont plus associés aux rechutes. Il faut donc surveiller de plus près certains patients. »

Il est également possible de savoir a posteriori ce qui s’est passé quand on réaugmente la dose d’antidépresseurs. « Si, très rapidement, les symptômes disparaissent, il s’agissait probablement d’un sevrage. »

Accompagner le patient

Comment aider le patient qui présente des symptômes liés à l’arrêt ou à la baisse des doses d’antidépresseurs ? « Je pense que lorsque les symptômes sont légers, surtout si on estime qu’ils sont causés par le sevrage, on peut rassurer le patient. Il faut lui offrir un accompagnement, estime le Dr Garel. La méta-analyse allemande révèle tout le côté psychologique associé à l’arrêt du traitement antidépresseur. Les gens peuvent devenir hypervigilants et surinterpréter leurs signaux internes. Ils ont peur de la récurrence de la dépression. Il faut les soutenir. Cela peut faire toute la différence s’ils ont la réaction un peu impulsive de demander une réaugmentation de la dose de médicament alors que la bonne décision est plutôt de la diminuer graduellement. »

Comme chaque patient est différent, la déprescription doit l’être également. « Avec certains, il faut prendre beaucoup plus de temps pour diminuer les doses, alors qu’avec d’autres, on peut procéder plus rapidement. Les gens vont également expérimenter leurs symptômes de sevrage de façon différente. Leurs risques de rechute varient aussi », explique le psychiatre.

Il est par ailleurs important d’établir un partenariat avec le patient. « On n’a pas de bonnes données scientifiques sur la rapidité avec laquelle on doit arrêter l’administration d’un antidépresseur. Faut-il, par exemple, diminuer la dose de 25 % toutes les deux semaines ? On n’a pas de véritables indications à ce sujet, dit le Dr Garel. Je crois donc qu’il est essentiel d’inclure le patient dans le plan pour qu’il ait son mot à dire. Il faut qu’il sente que le processus n’est ni trop lent ni trop rapide. C’est ce qui est préconisé pour que le sevrage se déroule bien. »

Bibliographie

1. Henssler J, Schmidt Y, Schmidt U et coll. Incidence of antidepressant discontinuation symptoms: a systematic review and meta-analysis. Lancet Psychiatry 2024. DOI : 10.1016/S2215-0366(24)00133-0. (publié en ligne le 5 juin)