Entrevues

Association de Montréal

Et si les PREM n’existaient plus…

Nathalie Vallerand  |  2024-08-27

L’Association des médecins omnipraticiens de Montréal réclame un moratoire sur le système des PREM.
Son président, le Dr Samer Daher, expose la situation.

ViePro-0524-Entrevue

M.Q. – Quelle est la situation de la médecine familiale à Montréal ?

61925.png

S.D. La situation demeure difficile. Il manque entre 380 et 420 médecins de famille, selon les données du Département régional de médecine générale. Et comme Montréal est l’une des régions où l’âge moyen des omnipraticiens est le plus élevé, il y aura de nombreuses retraites dans les prochaines années. Certains cliniciens seraient restés encore un peu pour aider, mais préfèrent accrocher leur stéthoscope plutôt que de continuer à se faire dénigrer sur la place publique. Pour les médecins d’expérience en particulier, la coupe est pleine. Ils n’en peuvent plus de voir le gouvernement leur taper sur la tête pour regagner de la popularité chaque fois qu’il est en difficulté dans les sondages. Ces cliniciens plus âgés, par ailleurs, suivent un grand nombre de patients, parce qu’ils n’ont pas d’activités médicales particulières (AMP). Il faut de deux à quatre jeunes médecins pour remplacer un médecin qui prend sa retraite. Le manque d’effectif risque donc de s’aggraver.

M.Q. – Avez-vous une solution à proposer ?

61925.png

S.D. Il faudrait éliminer les AMP ainsi que les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Dans un premier temps, cependant, notre association demande un moratoire de deux ans sur le système des PREM. Nous avons envoyé une lettre au ministère de la Santé et des Services sociaux à ce sujet. Créés il y a vingt ans, les PREM sont censés permettre de répartir les médecins de famille sur le territoire de façon équitable. Mais le Ministère en a-t-il analysé les résultats ? Un moratoire lui donnerait le temps de le faire.

M.Q. – Pourquoi pensez-vous qu’enlever les PREM serait bénéfique ?

61925.png

S.D. Ce serait un facteur irritant de moins pour les jeunes médecins. D’ailleurs, les PREM, de même que les AMP, figurent parmi les principales raisons qui poussent des diplômés en médecine à exercer au privé ou ailleurs au pays. Ce sont ainsi des médecins dont ni Montréal ni les autres régions ne bénéficient. Le retrait des PREM aiderait à les retenir, j’en suis convaincu. Actuellement, il y aurait environ 500 médecins de famille au privé. C’est un sommet historique ! De toute évidence, imposer aux médecins un lieu géographique où s’installer n’est pas une solution gagnante. En Amérique du Nord, il n’y a qu’au Québec que ce type de mesure coercitive existe.

M.Q. – En l’absence de PREM, les nouveaux médecins pourraient exercer où bon leur semble. Comment alors s’assurer d’une bonne répartition des effectifs ?

61925.png

S.D. D’abord, je tiens à mentionner que j’ai pratiqué dix-huit ans en Gaspésie et que j’y ai occupé le poste de chef du DRMG. Pour attirer des médecins hors des grands centres, je suis d’avis qu’il faut plutôt miser sur des mesures incitatives en bonifiant celles qui existent déjà et en en ajoutant d’autres. D’ailleurs, la FMOQ appuie notre demande de mettre les PREM sur pause, mais à la condition d’améliorer les conditions de travail et la rémunération des médecins des régions. La création de nouvelles unités régionales de formation en médecine familiale figure aussi parmi les solutions à envisager. Cela dit, Montréal ne se voit pas attribuer assez de postes. Il faut savoir que les médecins de famille montréalais soignent quelque 400 000 personnes qui sont exclues du calcul des PREM, parce qu’elles habitent à l’extérieur de l’île de Montréal. Le calcul ne prend pas non plus en compte les gens qui reçoivent des soins sans avoir de carte d’assurance maladie, comme les touristes, les étudiants étrangers, les diplomates et les itinérants. Je souhaite l’abolition du système des PREM, mais s’il continue d’exister, on doit tenir compte de ces personnes. De plus, les congés parentaux, de maternité et de maladie devraient également être considérés lors de l’estimation des besoins, ce qui n’est pas le cas actuellement.

M.Q. – Êtes-vous inquiet de la fermeture, en juillet, d’un GMF de l’est de Montréal desservant 6400 patients, parce qu’il n’était pas viable financièrement en raison notamment d’un manque de médecins ?

61925.png

S.D. D’autres cliniques à Montréal ont récemment mis fin à leurs activités pour des raisons financières. Alors, oui, je suis préoccupé et je travaille avec la FMOQ pour trouver des solutions. Mais c’est un dossier complexe, car les difficultés des cliniques ont plusieurs causes. Est-ce que le choix de l’emplacement d’une nouvelle clinique repose toujours sur une analyse des besoins ? Faudrait-il un permis pour ouvrir une clinique afin de s’assurer qu’elle s’installe à un endroit où l’offre de soins est insuffisante ? On voit aussi de plus en plus de cliniques être achetées par des intérêts privés qui peuvent décider de fermer l’endroit si les profits sont en deçà des attentes. Pour ma part, je préfère que les cliniques appartiennent aux médecins ou du moins que ces derniers en soient actionnaires afin qu’ils aient leur mot à dire dans la gestion.

M.Q. – Comment ont réagi vos membres aux changements apportés à l’entente sur l’inscription collective ?

61925.png

S.D. Il n’y a pas vraiment eu de réactions à la diminution de 20 $ du forfait annuel pour chaque patient inscrit ni aux autres changements techniques. Cependant, la manière dont le gouvernement a renégocié l’entente a causé une blessure profonde chez nos membres. Le ministre Dubé a lancé des accusations non fondées contre les médecins qui dénotaient une grande méconnaissance du fonctionnement du guichet d’accès à la première ligne et de l’inscription collective. Il a utilisé des termes très durs. Depuis les huit dernières années, c’est plus de 400 postes de résidence en médecine familiale qui n’ont pas été pourvus. Le dénigrement constant des médecins de famille par la classe politique y est pour quelque chose, de même que la rémunération qui n’est pas compétitive.

M.Q. – Quelles sont les priorités de votre association pour le renouvellement de l’Entente ?

61925.png

S.D. Le plus important, c’est de donner aux médecins les moyens nécessaires pour mettre en place une réelle collaboration interprofessionnelle. Nous voulons plus d’infirmières, de travailleuses sociales et d’autres professionnels. Actuellement, plusieurs cliniques se font promettre des ressources qui n’arrivent pas. Le ministère de la Santé doit exiger que les CIUSSS respectent leurs obligations. De plus, nous souhaitons la parité avec les cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées qui disposent de plus de personnel et de plus de subventions. Autre chose : peut-on mieux organiser les services ? Il y a des entraves à tout ce qu’on fait. Quand je demande une résonance magnétique, je reçois une réponse qui me dit de diriger mon patient ailleurs, parce que l’attente est de neuf mois. L’organisation souffre de graves lacunes qui rendent la pratique difficile.

M.Q. – Pour terminer, comment voyez-vous l’avenir de la médecine familiale ?

61925.png

S.D. Outre l’incontournable travail en équipe avec d’autres professionnels de la santé, j’aimerais aborder un autre aspect. On entend dire que les médecins de famille ne travaillent pas assez, voire qu’ils sont paresseux. Mais, aujourd’hui, les couples partagent les responsabilités familiales. Les gens aspirent à passer du temps en famille, à cultiver des passions, à profiter de la vie. Les médecins ne font pas exception. L’homme médecin qui travaille 70 heures par semaine parce que sa femme est à la maison à s’occuper des enfants est un modèle en voie de disparition. Cela signifie que le temps consacré à la médecine diminue. Et il ne faut pas oublier que 67 % des finissants en médecine familiale sont des femmes. Elles ont le droit de prendre un an de congé de maternité, si elles le souhaitent. Pourquoi serait-ce normal pour les autres, mais pas pour elles ? Nous avertissons le gouvernement qu’il n’y aura pas assez de médecins depuis des années. S’il n’avait pas attendu aussi longtemps pour augmenter le nombre d’inscriptions dans les facultés de médecine, la situation serait sûrement meilleure.