Nouvelles syndicales et professionnelles

Publication dans un des journaux du BMJ

Dix recommandations québécoises pour l’usage judicieux des ressources

Élyanthe Nord  |  2024-08-20

RWittmer

Ils sont huit omnipraticiens et une étudiante en médecine qui luttent pour l’utilisation judicieuse des ressources en santé. Et ils ont des solutions. Dans le British Medical Journal Evidence-Based Medicine, ils proposent dix mesures. Dix recommandations visant les lignes directrices, les outils de transfert de connaissances et les conférences scientifiques pour favoriser l’emploi adéquat des ressources (encadré 1)1.

Le problème auquel l’équipe s’attaque est im­por­tant. « On estime qu’entre 20 % et 40 % des tests et des traitements prescrits ne sont pas utiles pour soigner le patient », écrivent d’emblée les médecins de famille dans leur article.

Pour le groupe, la solution repose notamment sur la formation. « Nous avons élaboré cette liste de dix choses à éviter quand on crée des outils de transfert des connaissances sous toutes ses formes. Nous voulions que tous les acteurs du domaine parlent d’une voix commune en faveur de la pertinence clinique », explique le Dr René Wittmer, premier auteur de l’article et président de Choisir avec soin Québec.

Les recommandations que le médecin et ses collègues publient dans leur texte misent sur la rigueur scientifique, la transparence et le pragmatisme. Par exemple, ils prônent de ne pas diffuser de recommandations sans une évaluation rigoureuse des données ni sans tenir compte de leur effet sur l’utilisation des ressources. Ils préconisent aussi notamment de considérer le temps nécessaire pour traiter, de viser des objectifs cliniquement importants et de ne pas présumer de l’efficacité ou de l’innocuité du dépistage.

« Depuis plusieurs années, on sait que bien des tests et des traitements ne sont pas pertinents. Les éviter pourrait être une solution à certains problèmes du système de santé, comme le manque d’accessibilité. Tout patient qui passe un test inutile prend la place d’un autre pour qui l’examen pourrait être utile », affirme le Dr Wittmer, qui pratique au GMF-U des Faubourgs, à Montréal.

Les lignes directrices scrutées

Le Dr Wittmer et ses collègues ont entre autres dans leur mire certaines lignes directrices. Car plusieurs recommandations ne prennent pas en considération le recours judicieux aux ressources. Certains comités d’experts, par exemple, élargissent la définition d’une maladie. Les critères se sont assouplis pour des affections comme le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, l’hypertension et le prédiabète. Parfois, ces modi­fications sont bénéfiques, indique le médecin. « Mais parfois, en abaissant le seuil diagnostique, on médicalise la normalité. »

Bien des comités prennent d’ailleurs peu en compte les éventuels effets néfastes de leurs nouvelles recommandations, que ce soit sur le patient ou le système de santé. « Les groupes d’experts sont généralement très bons pour mettre de l’avant les avantages des changements de définitions ou des façons de faire, mais souvent ils n’anticipent pas les côtés négatifs », affirme l’auteur principal de l’article.

Ces changements ne sont par ailleurs pas au-dessus de tout soupçon. « Des études ont montré que la majo­rité des panels d’experts proposent un élargissement des critères diagnostiques et que la plupart de leurs mem­bres ont des conflits d’intérêts de nature financière avec l’industrie. » Les entreprises pharmaceutiques peuvent par ailleurs aussi teinter les avis d’experts. Le Dr Wittmer et ses collègues conseillent de ne pas utiliser ce type d’information sans prendre en considération l’effet potentiel des conflits d’intérêts.

Le groupe québécois recommande également de faire participer à l’élaboration des lignes directrices les professionnels qui les appliqueront. Et les médecins de famille sont souvent les premiers concernés. Les patients non plus ne doivent pas être oubliés. Il ne faut pas faire de recommandation sans souligner l’importance de la prise de décision partagée, indiquent les auteurs.

L’enseignement sous la loupe

Le Dr Wittmer et ses collègues ont aussi scruté la formation médicale. Certains programmes universitaires se concentrent, par exemple, sur la rigueur et l’exhaustivité des diagnostics plutôt que sur la valeur des tests proposés, expliquent-ils dans leur article du BMJ Evidence-Based Medicine. « La formation est souvent axée sur le fait qu’il ne faut rien rater et sur ce qui est offert plutôt que sur ce qui peut réellement être utile pour le patient », mentionne le médecin.

Les recommandations de son groupe pourraient d’ailleurs permettre de mettre de l’ordre dans les divers tests et trai­tements. « Devant l’explosion du nombre de ces derniers, il devient plus important que jamais de former des médecins capables de réfléchir et de proposer les bons tests au bon patient au bon moment. »

Des notions clés devraient également faire partie de la formation médicale : l’usage réfléchi des ressources et le recours aux éléments qui peuvent augmenter la transparence dans la communication, comme l’utilisation de risques absolus plutôt que relatifs. Ils sont rarement enseignés, déplorent les omnipraticiens québécois.

Par leurs dix recommandations, le Dr Wittmer et ses colla­bo­rateurs désirent donner des outils à leurs collègues actuels et futurs. « Nos recommandations devraient permettre de repérer le matériel qui ne correspond pas aux principes de l’approche fondée sur les données probantes et les soins de grande qualité dans les lignes directrices, les formations pré et postdoctorales ainsi que dans les activités de perfectionnement professionnel », écrivent-ils.

L’origine du projet

L’aventure de l’utilisation adéquate des ressources en santé a commencé avec la Déclaration de Montréal sur les soins de santé pertinents (encadré 2). Initiative de Choisir avec soin et du Collège québécois des médecins de famille, cette déclaration visait à présenter les principes de base et à mobiliser tous les acteurs.

« On sait que plusieurs personnes ont signé la déclaration de Montréal au cours de la dernière année. L’étape suivante était de se dire : comment chacune d’entre elles peut promouvoir la pertinence des soins au sein de son milieu ? », raconte le Dr Wittmer.

Ainsi, les dix recommandations ont été conçues. Elles s’adres­sent notamment aux responsables de formation professionnelle continue, aux conférenciers, aux enseignants, aux responsables des facultés de médecine, aux responsables des lignes directrices et aux autres acteurs du système.

Mais chaque médecin est aussi concerné. « Nous invitons les professionnels de la santé à commencer à insister sur la transparence des informations qu’ils lisent ou écoutent. Ils représentent probablement le levier de changement le plus important. L’application de ces principes représenterait un pas en avant vers une utilisation judicieuse de nos ressources en santé et devrait commencer le plus tôt possible », écrit le groupe québécois.