Entrevues

Entrevue avec le président de l’AMCLSCQ

un modèle de soins qui inclut tous les partenaires de la collectivité

Élyanthe Nord  |  2025-01-28

Le Dr Philippe Melanson, président de l’Association des médecins de CLSC du Québec, travaille à améliorer les soins de santé locaux dans Lanaudière en mobilisant les différents partenaires du milieu. Il est l’instigateur d’un nouveau modèle : la démarche de proximité.

ViePro-0524-Entrevue

M.Q. – En quoi consiste le modèle d’organisation que vous avez conçu ?

61925.png

P.M. J’ai créé, avec mes collaborateurs, ce que j’appelle une démarche de proximité. Je pense que ce sera le modèle de l’avenir. Nous avons commencé par les secteurs de Saint-Donat et de Saint-Michel-des-Saints, où je pratique, mais le projet continue à s’étendre à d’autres municipalités de Lanaudière. On s’est dit : « Comment peut-on mieux servir notre population localement ? » Bien des sous-régions manquent de professionnels de la santé et sont loin des centres de prise de décisions où sont situées les équipes de soutien.

M.Q. – Quels résultats avez-vous obtenus ?

61925.png

P.M. Nous avons réussi à avoir d’intéressantes ressources : des intervenants en santé mentale, des gestionnaires de proximité, des agents de liaison avec les organismes communautaires. Des trajectoires de soins ont également été mises en place en tenant compte des ressources de la collectivité. Par ailleurs, nous avons également mis sur pied, à Saint-Michel-des-Saints, un système de « prise en charge populationnelle intégrale » qui ne laisse tomber aucun patient. Nous collaborons maintenant avec tous les acteurs de la région.

M.Q. – Comment est-ce que tout a commencé ?

61925.png

P.M. Il y a deux ans, je suis allé rencontrer le maire de Saint-Donat et le PDG du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière. Nous voulions trouver des solutions pour améliorer les soins de santé locaux. Nous avons donc décidé de créer une « table des partenaires ». L’une des premières étapes a été de dresser, avec la Santé publique, le portrait de notre population. Ensuite, nous avons déterminé quels étaient les acteurs de soins de Saint-Donat : le CISSS, notre GMF, la municipalité et les organismes communautaires. Nous avons également contacté d’autres partenaires : les écoles, les garderies, les pharmacies, les ambulanciers, la police, la chambre de commerce, etc. Nous avons réuni tout ce monde-là pour former une table. Chacun y a appris ce que les autres faisaient et vu comment on pouvait s’entraider. Nous avons ensuite établi des trajectoires pour les usagers. Si telle personne a tel problème, comment peut-elle naviguer dans le réseau ? Cette table des partenaires se penche sur tout ce qui est soins de santé locaux. Quand elle fait une recommandation, tout le monde se mobilise pour la mettre en œuvre.

M.Q. – Qu’avez-vous obtenu comme médecin ?

61925.png

P.M. J’ai rapidement demandé un gestionnaire de proximité, c’est-à-dire une personne qui est en contact avec tous les employés des différents programmes et services du CISSS. L’établissement, qui est très innovant et motivé à améliorer la première ligne, nous en a fourni un dans les CLSC de Saint-Donat et de Saint-Michel-des-Saints. Ce dernier village, d’environ 4000 personnes, possède d’ailleurs lui aussi sa table des partenaires, tout comme le secteur de Saint-Gabriel-de-Brandon. L’année prochaine, ce sera au tour de Joliette.

M.Q. – Quels besoins ont été cernés par les tables des partenaires ?

61925.png

P.M. Le premier constat a été le besoin d’aide en santé mentale. On a ainsi obtenu une AHR (aide en relations humaines) à Saint-Donat et à Saint-Michel-des-Saints. Le fait d’avoir un intervenant pouvant écouter une personne en détresse et la diriger vers la bonne ressource a fait toute la différence. Cela a enlevé de la pression sur les équipes médicales. Le CISSS a ensuite engagé des professionnels pour répondre à ce besoin. Le deuxième problème qui est apparu était la difficulté de naviguer parmi toutes les ressources locales.

M.Q. – C’était un problème que vous aviez aussi ?

61925.png

P.M. Comme médecin, on ne sait pas toujours vers où diriger le patient pour qu’il obtienne de l’aide. Le CISSS nous a donc fourni un navigateur, un AAOR, (pour l’accueil, l’analyse, l’orientation et la « référence »). On a maintenant au CLSC une personne à qui l’on peut dire : « Ce patient a tel problème, pouvez-vous regarder ce qui existe comme ressources. » Elle s’en occupe et fait le lien avec les partenaires de la table. Dans un secteur comme Saint-Michel-des-Saints, où il n’y a que des médecins dépanneurs et des infirmières, les organismes communautaires sont nombreux. Il y en a pour l’aide alimentaire, le soutien psychologique, le deuil, les parents en difficulté, l’habillement, etc.

M.Q. – Vous avez également mis sur pied un projet de prise en charge populationnelle intégrale ?

61925.png

P.M. À Saint-Michel-des-Saints, personne n’a de médecin de famille, et le guichet d’accès régional à la première ligne n’est pas optimal pour cette population. Avec le CISSS, nous avons donc lancé un projet pilote. Il s’agit d’une ligne de téléphone où une infirmière fait le triage du lundi au vendredi. Les gens lui expliquent leur problème et elle en évalue l’urgence. S’il est nécessaire d’appeler le 911, elle effectue toutes les démarches. Si le patient n’a pas besoin d’aller à l’hôpital, mais que son cas nécessite une consultation médicale rapidement, elle lui donne un rendez-vous le jour même avec le médecin de garde du CLSC. Si le cas est semi-urgent, elle lui fixe un rendez-vous dans les 24 à 72 heures. Souvent, cependant, les conseils de l’infirmière suffisent.

M.Q. – Cela ressemble un peu au 811 ?

61925.png

P.M. Le 811 ne fait pas le « lissage » des rendez-vous. Dans notre projet pilote, quand le patient doit voir un médecin, l’infirmière lui explique toujours que la consultation est accordée en fonction de l’urgence. Si un cas plus urgent survient, elle pourra être repoussée. Cela nous permet de moduler l’offre. De plus, le 811 remplit les plages et quand il n’y en a plus, le patient doit se débrouiller seul. À Saint-Michel-des-Saints, personne ne reçoit de refus. Lorsqu’il n’y a plus de place, l’infirmière trouve quand même de l’aide pour le patient. S’il peut être vu par un pharmacien, une travailleuse sociale ou un organisme communautaire, elle l’oriente vers eux. Notre multidisciplinarité inclut les ressources de la collectivité. Ce sont des bras de plus que l’on sous-estime souvent. On offre donc une véritable prise en charge de groupe. Tous les résidents sont orphelins, mais ils sont tous couverts.

M.Q. – Qu’en est-il à Saint-Donat ?

61925.png

P.M. On a demandé à la Santé publique un portrait de la population. Les gens y sont notamment plus âgés que la moyenne québécoise. Il fallait donc mettre en place des solutions pour nos aînés. Avec les organismes communautaires, on a trouvé des façons d’optimiser leur parcours dans le réseau et aussi d’éviter leur isolement. On travaille à avoir une communauté bienveillante. On essaie de voir comment chacun peut repérer les gens qui ne vont pas bien et en avertir les intervenants. La table des partenaires de Saint-Donat était également préoccupée par l’absence de physiothérapeutes sur le territoire. Le GMF y a alors remédié grâce à sa possibilité d’embaucher des professionnels de la santé.

M.Q. – Que pense la population de ce modèle de démarche de proximité ?

61925.png

P.M. Les gens nous disent que les services de santé s’améliorent vraiment et qu’ils ont l’impression d’être écoutés. Ils sont plus engagés dans leurs soins. L’implication de la population se voit également dans les collectes de fonds. Seulement à Saint-Donat, plus de 330 000 $ ont été recueillis au cours des trois dernières années par la fondation médicale. On peut ainsi faire des projets novateurs pour améliorer la santé des gens.

M.Q. – Quelle est la suite ?

61925.png

P.M. La prochaine étape sera de rajouter des partenaires comme les grandes entreprises. Elles peuvent avoir des problèmes tels que les accidents de travail. Nous avons, par exemple, aidé une scierie à en réduire le nombre. Les grandes compagnies pourraient aussi nous aider à financer certains projets ou la table des partenaires. Pour l’instant, c’est le CISSS et les municipalités qui le font. On va par ailleurs bientôt tester un modèle urbain à Joliette. On tâche également de faire connaître notre modèle aux autres régions. Il s’agit d’un nouveau type d’organisation où l’on fait appel non seulement aux autres professionnels de la santé, mais aussi à la collectivité.