Nouvelles syndicales et professionnelles

Projet de loi n° 83 sur la pratique des jeunes médecins

« une réponse politique inadéquate »

Élyanthe Nord  |  2025-02-11

Le président de la FMOQ, le Dr Marc-André Amyot, accompagné du Dr Pierre Martin et du Dr Guillaume Charbonneau, respectivement premier et deuxième vice-présidents, a participé aux audiences de la Commission de la santé et des services sociaux sur le projet de loi no 83 (Loi favorisant l’exercice de la médecine au sein du réseau public de la santé et des services sociaux), le 6 février dernier.

 

Loi83-Groupe2

« Ce que nous souhaitons, ce n’est pas que les jeunes médecins de famille passent cinq ans dans le système public et 25 ou 30 ans dans le privé. Ce que nous souhaitons, c’est qu’ils passent l’entièreté de leur carrière dans le réseau public », a déclaré le Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ, à la commission de la santé et des services sociaux qui se penchait sur le projet de loi n° 83.

La mesure législative, que rejette la FMOQ, obligera tout nouveau médecin à exercer pendant cinq ans dans le régime public québécois. « Le projet de loi ne s’attaque pas aux véritables causes du manque d’attractivité du réseau public », a objecté le Dr Amyot à la commission.

« La question est : pourquoi les médecins quittent-ils le réseau public ? », a soulevé le président. La Fédération a interrogé des omnipraticiens qui exercent au privé. La rémunération n’est pas leur première motivation. Ils délaissent le réseau public pour de nombreuses raisons. « Par dépit, par fatigue administrative, à cause de la lourdeur bureaucratique, de l’absence de flexibilité, de la surcharge de travail, des conditions de pratique difficiles, du manque de ressources et de leur mauvaise allocation, de l’absence de soutien clinique et administratif, de l’absence d’intégration des soins », a expliqué le président. En outre, les médecins de famille sont soumis dans le système public à de multiples contraintes, comme les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) et les activités médicales particulières (AMP).

Le projet de loi n° 83 n’apporte pas de solutions à ces problèmes. Il compromet d’ailleurs en particulier l’attractivité de la médecine familiale, spécialité déjà plombée par les obligations. « L’ajout de contraintes découragera les futurs étudiants en médecine de choisir la médecine familiale. Je rappelle que, depuis sept ans, il y a au moins 550 postes de résidence en médecine familiale qui n’ont pas été pourvus. »

Par ailleurs, le projet de loi ne vise qu’un petit nombre de jeunes omnipraticiens. « C’est de 15 à 20 médecins par année, ce qui est négligeable face à la pénurie d’au moins 1500 médecins de famille au Québec », a souligné le président.

En plus, la mesure ne cible que les médecins. Uniquement 4 % d’entre eux pratiquent dans le secteur privé. Dans d’autres professions, comme les psychologues, le taux va jusqu’à 40 %, a indiqué le Dr Amyot.

La question c’est : pourquoi les médecins quittent-ils le réseau public ? » - Dr Marc-André Amyot

Les solutions de la FMOQ ?

MAAmyot

Si les jeunes médecins sont obligés de pratiquer cinq ans dans le secteur public, qu’arrivera-t-il une fois cette obligation acquittée ? « Après avoir été enfermé pendant cinq ans, la première chose qu’on fait, c’est de se libérer », a expliqué pendant la période de questions le Dr Guillaume Charbonneau, deuxième vice-président de la FMOQ. Le gouvernement envoie un mauvais message à des cliniciens qui ne sont habituellement pas tentés par le privé, estime-t-il.

Même des omnipraticiens plus âgés ont été ébranlés par le nouveau projet de loi. Plusieurs se demandent s’ils ne devraient pas quitter le secteur public pendant qu’ils le peuvent encore. « Ce projet de loi a suscité beaucoup de réflexions chez nos médecins sur le terrain, et pas seulement chez les jeunes », a révélé le Dr Pierre Martin, premier vice-président de la Fédération.

C’est pourtant l’inverse que souhaite la FMOQ. « Le premier choix des nouveaux médecins, notamment de nouveaux médecins de famille, devrait être systématiquement d’entreprendre une carrière au sein du régime public, dans le but d’y rester et d’y faire toute leur carrière. Or, si l’on veut qu’une telle chose advienne, cette avenue se doit d’être attractive sur le plan de l’organisation de la pratique et des ressources proposées pour bien pratiquer la médecine », indique le mémoire de la Fédération (https://bit.ly/4gDAA5w).

« Quelles sont nos solutions ? a demandé le Dr Amyot. Abandonner la coercition et valoriser la médecine de famille. Cesser le dénigrement des médecins de famille dans l’espace public. Revoir les règles des PREM et des AMP qui limitent les choix d’installation et de pratique des médecins. Améliorer les conditions de travail, pas seulement des médecins, mais aussi de tous les autres professionnels de la santé dans le réseau public. »

Avec son projet de loi, le gouvernement ne fera qu’aggraver la crise en médecine familiale. « En conclusion, le projet de loi 83 est une réponse politique inadéquate. On traite des symptômes sans s’attaquer à la source du problème et on détourne l’attention des vrais problèmes du réseau. Le gouvernement fait une erreur de diagnostic et, par le fait même, une erreur de traitement », a affirmé le président. La FMOQ, résume le président, propose des solutions reposant sur l’amélioration des conditions de pratique et la collaboration plutôt que sur la coercition.

« On traite des symptômes sans s’attaquer à la source du problème et on détourne l’attention des vrais problèmes du réseau. » -
Dr Marc-André Amyot

Encadré

La question des cliniques médicales

Le président de la FMOQ a profité des travaux de la commission sur le projet de loi no 83 pour aborder une question importante : la propriété des cliniques médicales. Au Québec, comme ailleurs au Canada, de plus en plus de non-médecins en possèdent et en gèrent. « La FMOQ croit que le gouvernement doit intervenir rapidement et de façon décisive pour protéger la population et les médecins », indique le mémoire de la Fédération.

L’objectif des entreprises détenues par des non-médecins est la rentabilité, a souligné le Dr Marc-André Amyot. Un but qui présente divers risques pour le système de santé. « Il y a ceux liés à la fermeture des cliniques moins rentables, à la perte de lieux de consultation de proximité pour les patients, à la perte d’accès aux dossiers médicaux pour les patients et les médecins, à l’exploitation des données médicales à des fins commerciales, à la pression exercée sur les médecins pour maximiser le rendement financier », a énuméré le président.

La Fédération voudrait que le projet de loi no 83 prévoie un mécanisme pour que les cliniques médicales du Québec appartiennent majoritairement à des médecins québécois pour protéger le caractère public du réseau. « Au même titre que pour être propriétaire d’une pharmacie, il faut être pharmacien et que pour être propriétaire d’une clinique de radiologie, il faut être radiologiste. »

Une telle mesure aurait évité les problèmes liés aux cliniques ELNA avant Noël. « Pourquoi ? Parce que l’objectif d’un médecin, ce n’est pas de faire de l’argent avec la clinique médicale, c’est de sécuriser un lieu de pratique où il va pouvoir gagner sa vie et offrir des services à la population », a indiqué le Dr Amyot.