Nouvelles syndicales et professionnelles

Applications intelligentes de scribes médicaux

les grandes possibilités de ces nouveaux outils

Élyanthe Nord  |  2025-03-18


JLandry

Les logiciels de scribes médicaux utilisant l’intelligence artificielle ont déjà commencé à envahir les urgences, les cliniques, les unités hospitalières et les autres milieux de soins. Ils émergent dans tous les coins de la province. Leur fonction : rédiger les notes médicales de vos consultations. Certains peuvent aussi remplir des formulaires ou vous suggérer des diagnostics.

Le champ de leurs possibilités va bientôt s’agrandir. Sous peu, ils pourront fournir au patient un résumé de la consultation ou la liste des conseils que vous lui avez donnés. Éventuellement, ils enverront l’ordonnance à la pharmacie ou feront une demande pour un examen d’imagerie médicale.

Ces systèmes pourraient aller encore plus loin : par exemple, vous préparer, avant la rencontre de votre prochain patient, le résumé de ses dernières consultations. Ils pourraient peut-être aussi vous indiquer la conduite qu’adopteraient la majorité des médecins devant son cas.

Le potentiel de ces scribes est énorme. Mais pour l’instant, ils se concentrent sur la rédaction des notes médicales. Et même dans ce cadre, ils ne cessent d’évoluer. « J’ai l’impression que notre application est à environ 60 % de ce qu’elle pourrait être », explique le Dr Jasmin Landry, médecin et cofondateur de l’application Plume IA. Son système, lancé en octobre dernier, est utilisé quotidiennement par de 1000 à 2000 médecins.

La vitesse des progrès est impressionnante. « On est juste au début. On améliore les notes toutes les semaines. Beaucoup de fonctionnalités s’en viennent », annonce le clinicien, qui pratique à l’urgence de l’Hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay, et est médecin de famille dans une clinique, à Delson. Son entreprise, qui compte de cinq à dix personnes, dont deux médecins, a pris de l’ampleur depuis décembre.

Engouement pour l’intelligence artificielle


MLavoie

CoeurWay, est une autre application Web québécoise qui offre la rédaction de notes médicales. Ce logiciel, lancé en juin 2024, va franchir sous peu une étape importante : l’intégration à un dossier médical électronique (DME). L’entreprise montréalaise Medfar, propriétaire du DME Myle, vient d’acquérir le scribe. Le logiciel de rédaction de notes pourra donc bientôt être utilisé directement dans le dossier médical électronique. CoeurWay, toutefois, restera aussi offerte séparément.

Cette fusion d’un DME et d’un scribe ouvre de nouvelles ave­nues. Le système pourra notamment effectuer des tâches administratives avant et après la consultation. « La réduction de la paperasse était un besoin urgent. On s’en est donc occupé. On est prêt, avec la technologie, à automatiser d’autres tâches pour répondre aux besoins des médecins », soutient Mme Marie Lavoie, cofondatrice de CoeurWay, qui fait maintenant partie de l’équipe de Medfar. Son ancienne société, qui comptait 17 employés, desservait déjà plus de 2000 médecins.

Devant le potentiel de l’intelligence artificielle, une frénésie semble s’être emparée du monde médical. De nouveaux scribes apparaissent (encadré 1). Du côté des cliniciens, c’est l’engouement. Au Québec, 35 % des 1291 médecins utilisateurs de Myle qui ont répondu à une consultation effectuée par Medfar entre décembre 2024 et janvier 2025 avaient recours à un système de rédaction de notes.

Outil révolutionnaire ou superflu ?

Pour le Dr Kevin Girard, de Roberval, au Saguenay—Lac-Saint-Jean, la découverte de ces logiciels de rédaction de notes médicales, au début de l’été 2024, a été une révélation. « Le seul mot qui me vient en tête, c’est “révolutionnaire”. C’est hallucinant, explique le médecin qui a choisi le système Scribeberry, une application canadienne. J’ai eu l’impression d’être arrivé au XXII siècle. Je ne suis plus capa­ble de m’en passer. »

Dans Lanaudière, la Dre Catherine Marsh a, elle aussi, recouru à ce type de logiciel. Mais elle n’a pas été impressionnée. « J’ai testé le système une journée au service de consultation sans rendez-vous, un ou deux jours au cabinet et une fois à l’hôpital l’automne dernier. Ce n’était pas plus rapide que de rédiger moi-même ma note », explique la médecin qui tape en parlant au patient.

Pour la Dre Marsh, l’abonnement à une application Web, qui coûte en général de 100 $ à 200 $ par mois, n’en valait ainsi pas la peine*. La médecin de famille n’exclut toutefois pas un nouvel essai.

Un système simple à utiliser


MGarner

Comment fonctionnent ces scribes médicaux basés sur l’intelligence artificielle ? Leur utilisation est généralement simple. « J’arrive, je me présente, je demande au patient si ça le dérange qu’on enregistre l’entrevue pour permettre la rédaction d’une note médicale. Les gens n’ont jamais d’objection. Je dépose mon téléphone, puis on fait l’entrevue comme n’importe quelle entrevue », explique le Dr Michel Garner, urgentologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal, qui emploie depuis décembre Plume IA. D’autres systèmes, comme CoeurWay, peuvent aussi être utilisés avec un ordinateur ou une tablette.

Le Dr Garner procède ensuite à l’examen physique. « À cette étape, je peux continuer à parler à haute voix pour que le système enregistre ce que je fais ou dicter l’examen une fois l’entrevue terminée, ce que je choisis généralement. »

Le système rédige ensuite la note. Elle apparaît dans le compte du médecin sur la plateforme de son scribe médical. Le Dr Garner doit après copier et coller le texte pour l’introduire dans le système de l’hôpital (ou dans le DME du patient, s’il travaillait dans une clinique). Les données fournies à l’application sont supprimées après 48 heures chez CoeurWay et 24 heures chez Plume IA.

Le Dr Garner connaît bien, par ailleurs, les créateurs de son logiciel. Le Dr Landry et son collaborateur, le Dr James Tu, sont d’anciens étudiants qui ont chacun travaillé sur des projets à l’Hôpital du Sacré-Cœur.

Initiatives des scribes

L’intelligence artificielle effectue un travail de synthèse sophistiqué. « C’est très surprenant, reconnaît le Dr Jean-Marc Hébert, qui pratique au CLSC-GMF de Saint-Donat et a testé CoeurWay. Le système traite vraiment l’information et la reformule de façon concise et pertinente. Ce qui m’a surpris, c’est que tout ce qui n’est pas médical dans la conversation est omis. » Le patient peut ainsi parler de la pluie et du beau temps, rien n’apparaîtra dans la note.


Hebert

Le logiciel trie également les données. « Il est capable de pren­dre les symptômes cardiovasculaires et de les mettre dans un paragraphe. Si le patient se plaint d’une douleur au coude, il va faire un autre paragraphe. Quand la personne parle de son moral, il place les symptômes psychologiques à part », explique le Dr Girard.

Le programme, en outre, peut reformuler les propos en termes médicaux. Par exemple, il remplacera « douleur au genou » par « gonalgie ». Même les phrases du patient peuvent être retravaillées. « Par exemple, si la personne a dit : “ J’ai eu une semaine de merde ”, il traduit par : “ J’ai eu une semaine remplie d’embûches ” », explique la Dre Edith Gervais, médecin de famille au GMF Saint-Donat, qui utilise CoeurWay.

L’intelligence artificielle prend par ailleurs des initiatives. Le Dr Garner en a été étonné. Le médecin, par exemple, a demandé à une patiente pourquoi elle avait attendu deux semaines avant de se présenter à l’urgence pour sa fracture du poignet. « Elle m’a répondu : “J’ai peur des médecins”. Dans la note, le système a écrit : “Raison du retard de consultation : aversion pour les médecins”. » C’est quand même bien. Je n’aurais pas pris le temps de l’écrire, mais c’est tout à fait pertinent. »

Le logiciel est également plus fiable que la mémoire humaine. « Jusqu’à dix sujets peuvent être discutés dans une entrevue de 15 minutes en première ligne », explique le Dr Étienne Guillemette-Munger, de Roberval, qui a choisi Plume IA. Auparavant, il complétait souvent ses notes le soir, une fois les enfants couchés. « Durant la consultation, on émet des opinions, on donne des informations pour rassurer le patient, mais six heures après, on ne s’en souvient plus. »

Omissions

Le nouvel assistant intelligent n’est cependant pas parfait. « Je peux avoir dit le mot “serpent” et il écrit “pendant” », explique la Dre Gervais. Hier, je demandais à un patient : “Depuis quand avez-vous cessé de consommer de la cocaïne ?” il m’a répondu : “Depuis huit ans”. Le logiciel a compris “Huit mois”. »


HLahlou

Le scribe peut par ailleurs avoir sa propre vision de l’entrevue. « Il produit des notes reposant sur ce qu’il considère comme étant important dans la consultation. Il arrive donc que certains éléments dont on a discuté ne soient pas du tout mentionnés », indique la Dre Hala Lahlou, qui pratique à Montréal, au GMF-U de Verdun et emploie CoeurWay.

Pour s’assurer que la note de son application Web comporte les points essentiels, la Dre Gervais, elle, jette quelques mots sur papier. Elle le fait notamment dans les consultations en santé mentale. « Il y a des sections complètes d’entrevues que l’intelligence artificielle peut juger non pertinentes. Cela peut être, par exemple, la relation que la patiente avait avec son père. Cette information peut être importante à la fin dans le diagnostic d’un trouble anxieux. »

À l’occasion, certains logiciels peuvent même sabrer des informations capitales. « Le Collège des médecins du Québec demande que l’on inscrive les éléments pertinents positifs et négatifs, explique un médecin. Si, par exemple, un patient vient pour une douleur à la poitrine, je mentionne toujours au système quand c’est le cas : “Pas de diabète, pas d’oppression, pas de tabac, pas de cholestérol”. » Mais le clinicien a remarqué que son application avait tendance à ne pas mentionner ces éléments dans la note, puisqu’ils étaient absents.

« Pour moi, c’est important d’indiquer qu’il n’y a pas de facteurs de risque, parce que cela change la probabilité de maladie coronarienne », dit-il. En cas de poursuite, ces omissions pourraient être un problème. « On pourrait me dire : “Docteur, vous n’avez même pas demandé les facteurs de risque”. » Les applications cependant progressent rapidement, et ce type de dysfonctionnement, signalé par les utilisateurs, tend à être corrigé.

Il faut donc être prudent. Et bien lire la note avant de l’insérer dans le dossier du patient. « Parce que parfois, l’information n’est pas tout à fait juste », affirme la Dre Lahlou. Il lui arrive même d’éclater de rire parce que le scribe est complètement à côté de la plaque.

Mais la plupart du temps, le travail est bien fait. « Généralement, j’ai peut-être de 5 % à 10 % du contenu à modifier, évalue le Dr Guillemette-Munger. Je corrige quelques mots, quelques coquilles, quelquefois des hallucinations que l’intelligence artificielle a insérées. Parfois, je précise certains aspects, mais je vais surtout inscrire l’examen physique, parce que je sais que le système ne l’aura pas capté. »

Truc pour de meilleurs résultats

Le Dr Guillemette-Munger a découvert une manière de rendre son logiciel plus efficace. « Lorsque je lui indique le diagnostic, il produit une meilleure note. » Cette dernière est davantage en phase avec le problème de santé. Certains systèmes peuvent même inventer un diagnostic si on ne le leur en fourni pas un. « L’intelligence artificielle a besoin de ce côté explicite », explique le médecin qui recourt à son scribe au cabinet pour les soins de courte durée, les visites à domicile et les soins palliatifs.


CMarsh

Les scribes rédigent-ils en général de meilleures notes que les médecins ? « Je ne dirais pas qu’elles sont moins bonnes ou meilleures, elles sont seulement différentes », estime la Dre Lahlou. Elle-même écrivait des notes extrêmement complètes. « Le problème, c’est que ça me prenait un temps excessif. J’étais épuisée à force d’être perfectionniste et de vouloir de super bonnes notes. »

L’intelligence artificielle aide également les cliniciens à l’autre extrémité du spectre. Ceux dont les notes sont brouillonnes, illisibles ou insuffisantes. Leur recours à la technologie est un soulagement pour leurs collègues. « L’intelligence artificielle uniformise la rédaction des notes. Elle rajoute beaucoup d’informations utiles pour les médecins qui, plus tard, vont consulter le dossier », indique la Dre Gervais.

Elle-même constate que ses notes sont maintenant encore plus complètes. Mais elle a dû adapter un peu sa façon de travailler. Même si elle emploie encore des gabarits cliquables, elle fait désormais ses examens physiques à voix haute. Et elle indique tout durant la consultation. « Je nomme le diagnostic, j’énumère les médicaments, je précise les effets indésirables, je mentionne la conduite à venir, j’énonce ce à quoi on s’attend. Le logiciel note l’ensemble. Je n’aurais pas nécessairement écrit toutes ces informations par manque de temps », explique l’omnipraticienne.

Là où l’IA est le plus efficace


KGirard

Les logiciels de rédaction de notes peuvent être particulièrement pratiques pour certains types de consultations. Par exemple, pour les entrevues complexes. « En santé mentale, c’est très utile parce qu’on aborde tellement de sujets, mentionne la Dre Gervais. En plus, je peux pousser l’ordinateur et regarder le patient. On dirait que je le comprends mieux, parce que je n’ai pas besoin d’écrire. »

La médecin emploie cependant moins son scribe lors­qu’elle travaille à la mini-urgence de son GMF. « Pour une grippe, ce n’est pas nécessaire d’utiliser l’intelligence artificielle », juge-t-elle.

Le système peut également traduire. Si la consultation se déroule en anglais, en espagnol ou dans une autre langue, il est capable de rédiger une note en français. Et il s’accommode sans peine de la présence d’un interprète. « On ne peut pas savoir qu’il y en avait un », affirme le Dr Garner, qui mentionne cependant lui-même au logiciel la présence de cet intermédiaire.

Les scribes permettent finalement de gagner du temps. « Je peux facilement voir deux ou trois patients de plus par jour », estime le Dr Girard, dont le nombre de consultations est passé d’environ 15 à quelque 18 par jour.

Les scribes de demain

Les scribes évoluent rapidement. Parfois trop. « J’ai hâte qu’il y ait une certaine stabilité dans la manière dont fonctionne le logiciel. Les notes changent constamment. Mais je comprends, c’est une nouvelle technologie », concède la Dre Gervais.

Les scribes perfectionnent donc continuellement la rédaction de leurs notes, mais les systèmes vont probablement aussi développer leurs autres capacités : avis diagnostiques, sug­ges­tions de traitement. Et il pourrait y avoir encore beau­coup plus. « Si je regarde ce que l’intelligence artificielle pourrait faire dans cinq ans, je pense qu’on n’a peut-être pas encore atteint 10 % des possibilités de l’application », affirme le Dr Landry, fondateur de Plume IA.

L’aide qui arrive pour les cliniciens sera également pratique. « L’intelligence artificielle va être capable de prendre en charge ces tâches répétitives et ennuyeuses, qu’un médecin n’a pas envie de faire, pour lui redonner du temps. Le but, ce n’est pas que l’intelligence artificielle prenne la décision pour les médecins, mais qu’elle devienne leur bras droit pour qu’ils soient plus efficaces », soutient la cofondatrice de CoeurWay, Mme Lavoie.

* On peut actuellement trouver des abonnements à un scribe à des prix plus bas.

Comparaison de cinq scribes médicaux


EGuillemette

Quelles sont les différences entre les divers systèmes de rédaction de notes basés sur l’intelligence artificielle ? Le Dr Étienne Guillemette-Munger a voulu le savoir. En novembre dernier, il a testé cinq scribes médicaux : CoeurWay, Plume IA, Scribeberry, AutoScribe et Heidi AI. Il les a lancés ensemble au cours des mêmes consultations.

« Les cinq systèmes ont produit des notes relativement semblables concernant le contenu. Les variations tiennent principalement au degré de précision des informations et à la capacité du logiciel de moduler la note », explique-t-il.

CoeurWay et Plume IA, pour leur part, offrent une plateforme clé en main. Le choix du format de la note se fait grâce à des gabarits préétablis. Par exemple : Médecine générale/note de suivi ; Psychiatrie/note de consultation ; Neurologie/note d’admission, etc. « Chacun des deux logiciels propose une quarantaine de choix », précise le Dr Guillemette-Munger. Pour sélectionner les modèles qui lui conviennent, le nouvel utilisateur peut demander au logiciel de produire plusieurs types de notes et les comparer.

AutoScribe et Scribeberry, tous deux canadiens, ainsi qu’Heidi AI fonctionnent grâce à une interface d’intelligence artificielle plus « brute ». Scribeberry et Heidi AI nécessitent que l’on ajoute des commentaires ou des commandes dans une boîte de dialogue pour moduler la note. On peut ainsi obtenir plus de précision, en demandant par exemple au système, après la consultation : « Inscrire plus de détails sur l’impact fonctionnel de la douleur » ou « Préciser la chronologie des essais thérapeutiques », indique le Dr Guillemette-Munger. « L’ajout de ces instructions donne de bons résultats (si, bien sûr, les informations ont été fournies pendant la consultation) », précise le médecin. CoeurWay offre lui aussi cette possibilité de demander au système d’ajouter des précisions en refaisant une nouvelle note.

AutoScribe, très populaire en Ontario, fonctionne différemment. La note passe notamment par un système d’intelligence artificielle qui apprend des notes antérieures de l’utilisateur.

L’inconvénient des plateformes comme AutoScribe, Scribeberry et Heidi AI est leur complexité d’utilisation. Elle rend la courbe d’apprentissage un peu plus longue. Le plus compliqué des cinq logiciels est Scribeberry et le plus simple, Plume IA.

Quelles précautions prendre avant de se lancer dans l’utilisation des systèmes de rédaction de notes ? Le Dr Guillemette-Munger conseille de :

  • Faire l’essai de plusieurs logiciels pour découvrir leur fonctionnement ainsi que leurs avantages et inconvénients. « Il faut tester les scribes québécois, mais ne pas hésiter à explorer Heidi ou Scribeberry. » Tous les logiciels offrent des formules d’essai gratuit.
  • Avoir au moins une connaissance de base des scribes pour obtenir la meilleure note possible.
  • S’assurer de respecter le cadre légal. « Le médecin demeure responsable de la note médicale et de la sécurité des informations qu’il a recueillies sur son patient », rappelle le Dr Guillemette-Munger.