Entrevues

Entrevue avec le premier vice-président de la FMOQ

pratique dans le réseau public : des problèmes et des solutions

Nathalie Vallerand  |  2025-04-01

Le Dr Pierre Martin, premier vice-président de la FMOQ et président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie, fait le point sur certaines difficultés de la première ligne et présente des idées pour y remédier.

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M.Q. – Qu’est-ce qui est difficile en ce moment pour les médecins qui exercent dans le réseau public ?

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P.M. Il y a plusieurs problèmes. Notamment la difficulté, voire l’impossibilité de bâtir des équipes stables en GMF. Pourquoi ? Parce que les CISSS et les CIUSSS gèrent le programme des GMF et répondent en premier à leurs propres besoins en matière de personnel. Dès qu’il y a des postes à pourvoir en établissement, ils reprennent les soignants qu’ils ont envoyés en première ligne. Ces pratiques ont évidemment des répercussions sur les cliniques. En outre, le ratio infirmière-médecin est trop faible. Pour une efficacité maximale, il faudrait une infirmière par médecin. Or, dans plusieurs GMF, le ratio, tous professionnels confondus, est de 1 pour 1,5 médecin.

M.Q. – Quelles seraient les solutions ?

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P.M. Le programme des GMF devrait être géré par les départements territoriaux de méde­cine familiale (DTMF), y compris pour le financement. De plus, les DTMF devraient relever directement de Santé Québec. Actuellement, ils travaillent sous la coordination des directeurs généraux des établissements. Cette situation permet à ces derniers de diriger où bon leur semble le budget de la première ligne. En principe, le financement du programme des GMF doit servir seulement à la première ligne, mais des voies de contournement existent.

M.Q. – Quelles autres modifications souhaitez-vous dans le programme des GMF ?

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P.M. Au lieu d’une révision annuelle, le programme devrait être revu tous les cinq ans. Lors de cet exercice, on ne devrait pas tout changer, mais plutôt apporter les améliorations qui s’imposent. Le financement, lui, devrait être ajusté chaque année en fonction de l’augmentation du coût de la vie. Ce n’est pas facile pour les médecins d’offrir de nouveaux services ou d’investir dans leur clinique lorsqu’ils ne savent pas quelle somme ils obtiendront l’année prochaine pour le soutien à la pratique. Par ailleurs, les budgets accordés par le gouvernement pour aménager une clinique doivent correspondre à la réalité du marché. Un espace de 12 500 pieds carrés conçu pour faciliter le travail interdisciplinaire, par exemple, peut coûter de 1,25 à 2 millions de dollars. Mais le gouvernement offre un maximum de 60 000 $.

M.Q. – Qu’en est-il du manque d’effectifs médicaux en première ligne ?

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P.M. C’est un gros problème. Il faudrait 1500 médecins de famille de plus pour combler les besoins. Il n’y a pas eu de plan de correction à cette fin depuis une vingtaine d’années. Malheureusement, c’est très difficile de collaborer avec le gouvernement pour mettre des solutions en place. Le ministre de la Santé prétend vouloir nous aider, mais il a toujours recours à la coercition. De plus, il veut élargir l’accès aux soins en faisant plus avec moins, mais l’élastique a été étiré à son maximum. Ce qu’il faut maintenant, c’est travailler ensemble pour corriger les lacunes du système.

M.Q. – Que proposez-vous ?

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P.M. Pour commencer, il faut cesser de dévaloriser la médecine familiale. Le nombre d’admissions en médecine a été augmenté récemment, et c’est une bonne nouvelle. Mais encore faut-il que la relève choisisse la médecine familiale. Or, les gouvernements se succèdent et continuent de se livrer à un exercice de dénigrement des médecins de famille en affirmant faussement qu’ils ne travaillent pas assez. Il est grand temps que le discours change. Cela dit, une autre voie pour pallier le manque d’effectifs en première ligne serait de mettre fin aux activités médicales particulières (AMP).

M.Q. – Quels seraient les avantages de cette mesure ?

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P.M. Les AMP cesseraient de vampiriser les ressources médicales de la première ligne. En effet, lorsque les médecins de famille sont à l’hôpital, en CHSLD ou ailleurs, ils ne sont pas en cabinet. Et cela exacerbe le manque de médecins. Les AMP pouvaient se justifier dans les années 2000 quand une pénurie sévissait, notamment en raison d’une vague de départs à la retraite à la fin des années 1990. Mais 25 ans plus tard, nous ne devrions pas encore être assujettis à ce programme qui aurait dû être temporaire.

M.Q. – Si les AMP ne sont plus obligatoires, qui effectuerait les tâches en établissement ?

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P.M. Le Québec est la province où les médecins de famille pratiquent le plus en établissement. Ils y consacrent environ 30 % de leur travail contre de 10 % à 15 % dans les autres provinces. Pour expliquer cette situation, il y aurait lieu de se pencher sur l’organisation du travail des autres spécialités. Les médecins spécialistes en font-ils assez pour répondre à la demande de soins en établissement ? Est-ce qu’on a optimisé leur collaboration ? C’est une avenue à explorer, et je pense que nous devrions établir un dialogue avec eux. La polyvalence est par ailleurs une notion importante pour plusieurs médecins de famille. Ceux qui aiment travailler à l’hôpital pourraient continuer d’y exercer. Cependant, beaucoup de médecins ne sont pas heureux d’être obligés de faire des AMP pendant leurs quinze premières années de pratique. Certains se dirigent même vers le privé pour cette raison. Si les AMP n’étaient plus obligatoires, l’accès à la première ligne s’améliorerait.

M.Q. – Que pensez-vous du projet de loi no 83 favorisant l’exercice de la médecine dans le réseau public ?

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P.M. Vouloir protéger le réseau public et l’accessibilité universelle aux soins de santé est louable. Mais derrière ce projet de loi se cache le fait que si la médecine privée gagne en popularité chez les jeunes médecins, c’est parce que ces derniers considèrent que le système public leur est hostile. Il y a les AMP bien sûr, mais aussi les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) qui ne tiennent pas compte de la réalité de chacun. Les médecins moins jeunes, eux, sont tentés par le privé parce que le programme des GMF ne leur offre pas une organisation clinique stable et qu’ils souhaitent avoir plus de contrôle sur leur pratique. Avec ce projet de loi, par ailleurs, le gouvernement prétend que les médecins ont une dette envers la population à cause des coûts de leur formation. C’est profondément injuste. Les membres d’aucune autre profession n’ont à rembourser leurs études en exerçant au public pendant cinq ans sous peine de pénalités financières colossales. Pourtant, la majorité des professionnels travaillent au privé. On n’a qu’à penser aux dentistes, aux physiothérapeutes, aux psychologues, aux comptables, aux architectes, etc. Pourquoi créer une classe à part pour les médecins ?

M.Q. – En plus d’être premier président de la FMOQ, vous présidez l’association de la Mauricie. Y a-t-il des projets ou des problèmes particuliers à votre région ?

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P.M. Pour la première fois, nous avons de la difficulté à pourvoir nos PREM, à l’exception de ceux du réseau local de services (RLS) de Trois-Rivières. Pour 36 places, nous avons eu sept candidats au premier tour. D’habitude, nos unités d’enseignement de médecine familiale rendent notre région plus attrayante, mais ça ne semble pas être le cas cette année. Du côté des bonnes nouvelles, notre association a adopté une politique de mieux-être des médecins. Comme première initiative, nous voulons aider nos membres qui n’ont pas de médecin de famille à s’en trouver un. Nous leur avons lancé une invitation en leur demandant s’ils accepteraient de suivre un collègue, mais aussi si eux-mêmes cherchent un médecin et s’ils préfèrent être jumelés à un médecin d’un autre RLS ou non.