Nouvelles syndicales et professionnelles

Ces médecins dépanneurs

Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ?

Nathalie Vallerand  |  2019-09-25

Le Dr Jean-Simon Cantin n’a que 29 ans, mais il a travaillé aux urgences d’une dizaine d’hôpitaux de plusieurs régions : Gaspésie, Abitibi, Bas-Saint-Laurent, Charlevoix, etc. Il fait du dépannage depuis le début de sa pratique, en 2017, et il a l’intention de continuer quelques années. « C’est une occasion de visiter le Québec, de voir différents milieux de pratique et de connaître la réalité de la médecine en région », dit-il.

Jean-Simon Cantin

Qui sont ces médecins qui font exclusivement du dépannage ? Qu’est-ce qui les motive ? Pour mieux cerner leur profil, la direction des Affaires professionnelles de la FMOQ a effectué deux sondages maison cet été. Le premier, dont le taux de réponse a été de 50 %, a été mené auprès des 46 médecins ayant fait uniquement du dépannage au cours de la dernière année.

Premier constat : les médecins considérés comme des dépanneurs exclusifs sont en général jeunes. « Soixante-cinq pour cent exercent depuis cinq ans et moins », explique la Dre Danielle Daoust, conceptrice des sondages et directrice adjointe des Affaires professionnelles à la FMOQ. Pourquoi ont-ils choisi ce type de pratique ? Selon 52 % des répondants, c’est pour la polyvalence. Le dépannage offre une expérience différente.

« En région, il faut parfois travailler avec peu de ressources », explique la Dre Marie-Claire Lévesque. La jeune clinicienne a fait du dépannage dans les urgences et les soins de courte durée pendant un an et demi. « J’ai trouvé cela très stimulant. Cela m’a permis de développer ma débrouillardise et d’être à l’aise avec différents plateaux techniques. »

Même son de cloche du côté du Dr Cantin. « Pour un même problème de santé, la prise en charge des patients est différente. Dans un grand centre urbain, plusieurs patients seront hospitalisés en spécialité. En région, où il y a souvent très peu de spécialistes, le médecin d’urgence doit fréquemment s’occuper des suivis. Le dépannage peut donc être très formateur. »

Un horaire flexible

Le dépannage a par ailleurs l’avantage d’offrir un horaire flexible. C’est l’un des attraits qui est ressorti du second sondage que la Dre Daoust a envoyé aux 24 nouveaux dépanneurs exclusifs qui ont commencé en 2019.

Cette souplesse est nécessaire pour un athlète comme le Dr Cantin, qui a participé au Championnat du monde du triathlon en août dernier, en Suisse. « Je peux créer mon horaire en fonction des compétitions. Je multiplie les quarts de travail certaines semaines, puis je prends congé pour m’entraîner et préparer ma prochaine compétition. »

Une grande proportion des dépanneurs exclusifs ont une situation personnelle particulière, explique la Dre Daoust. « Ils peuvent faire du travail humanitaire, des évacuations médicales à temps partiel ou vouloir maintenir leur permis de pratique au Québec, effectuer du dépannage en attendant la fin des études de leur conjoint, etc. »

La possibilité de compresser l’horaire permet par ailleurs à des médecins de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick de venir donner un coup de main au Québec. « Ces cliniciens, qui constituent le quart des dépanneurs considérés comme exclusifs, vont généralement dans le Grand Nord », indique la directrice adjointe.

Et la mobilité interrégionale ?

Les nouveaux facturants feraient-ils du dépannage pour obtenir le statut de médecin en mobilité interrégionale et pouvoir ensuite pratiquer dans la région de leur choix ? Parmi les répondants des deux sondages, un seul a indiqué que c’était le cas.

« Certains pensaient que l’objectif des jeunes dépanneurs était de décrocher un poste à Montréal ou à Québec. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Le tiers des médecins dépanneurs qui ont pris un avis de conformité en 2018 ont opté pour une région éloignée », indique la Dre Daoust. Quand on regarde la proportion de ceux qui se sont installés par rapport aux effectifs en place, la région sociosanitaire la plus populaire a été Terres-Cries-de-la-Baie-James, suivie de Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine ainsi que de Mauricie et Centre-du-Québec. Montréal arrive à l’avant-dernier rang tandis que la Montérégie est bonne dernière.

Selon la Dre Daoust, le dépannage exclusif attire des médecins qui ont le profil pour travailler en région. « On ne choisit pas cette pratique quand on est du type urbain. On va être malheureux pendant deux ans ! »

Travailler dans au moins quatre régions

Plus de la moitié des médecins (57 %) qui ont commencé le dépannage avant 2019 travaillent dans quatre régions ou plus. Pourquoi ? Plusieurs explications sont possibles, mais il se peut que le dépannage exclusif attire des médecins allergiques à la routine.

Que font-ils ? Plus de la moitié des répondants (57 %) exercent dans les urgences, mais beaucoup pratiquent aussi dans les unités de soin de courte durée (48 %) et un certain nombre (22 %), en obstétrique.

Peu de médecins s’adonnent au dépannage dans une seule région (9 %), mais ceux qui le font vont en grande majorité au Nunavik ou dans la région Terres-Cries-de-la-Baie-James, selon la Dre Danielle Daoust. « C’est une médecine de dispensaire. Les médecins font de la prévention, du dépistage de tuberculose. Ils sont de garde pour les urgences jour et nuit pendant cinq ou sept jours. Certains recherchent ce type de pratique. »

Aspects plus difficiles

Le dépannage n’est pas une pratique sans défis. « Ça demande une bonne capacité d’adaptation, car chaque établissement a ses particularités, indique le Dr Cantin. Et à moins de retourner souvent aux mêmes endroits, ce n’est pas évident de développer un sentiment d’appartenance et de nouer des amitiés avec les collègues. »

Les déplacements de plusieurs jours constituent également un obstacle pour les jeunes parents, estime pour sa part la Dre Lévesque, qui vient de donner naissance à son premier enfant. Pour cette raison, elle ne compte pas continuer le dépannage après son congé de maternité.

Le suivi des résultats d’examens peut par ailleurs présenter des difficultés. « Les milieux n’ont pas tous mis en place un système pour suivre les résultats des examens prescrits par les médecins dépanneurs, dit la Dre Lévesque. Mais qu’il y en ait un ou non, je demeure l’ultime responsable des examens à mon nom. Pour dormir tranquille, je fais donc un suivi systématique des résultats. Et lorsqu’un résultat est anormal, je gère à distance la prise en charge du patient. »

Certaines caractéristiques de la pratique en région éloignée présentent aussi des inconvénients. Ainsi, les cas critiques ou complexes y sont moins fréquents en raison de la plus faible densité de population. « Il y a moins d’occasions de poser certains gestes techniques, comme des intubations », note le Dr Cantin.

Marie-Claire Lévesque

Une solution intéressante pour des médecins plus âgés

Le dépannage n’attire toutefois pas que des jeunes médecins. Ainsi, 30 % des répondants du premier sondage ont plus de dix ans de pratique. Dans la banque de dépanneurs exclusifs, plusieurs ont d’ailleurs un certain âge. Ce type de pratique serait donc un choix de début ou de fin de carrière, explique la Dre Daoust.

« Certains médecins d’expérience veulent ralentir la cadence, en particulier ceux qui travaillent en obstétrique. Comme leur pratique est exigeante et peut devenir lourde avec le temps, le dépannage leur permet de continuer à faire ce qu’ils aiment. »

Le dépannage est donc un maillon essentiel du système de santé. Il évite des ruptures de service critiques dans les établissements de soins en manque d’effectifs. Le problème, c’est qu’il y a actuellement pénurie de cliniciens dépanneurs.

Un médecin qui désire donner un coup de main à ses collègues et aider la population peut, outre le dépannage exclusif, faire du dépannage occasionnel en plus de ses tâches habituelles. « Certains en font une seule semaine par année, dit la Dre Danielle Daoust. Ils profitent de leurs vacances en Gaspésie ou ailleurs pour donner un coup de main à un établissement en difficulté. On a vraiment besoin de tous les bras ! » //