où s’arrêter ?
Ce samedi après-midi, le Dr Bélanger, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Labelle-Laurentides, est soucieux. Certains de ses membres qui exercent à l’hospitalisation des patients dans un des hôpitaux de la région sont entrés en contact avec lui. Ils veulent connaître leurs droits par rapport aux exigences toujours plus importantes de l’établissement devant l’achalandage extrême qui touche les soins de courte durée depuis trop longtemps déjà. La situation dure depuis des mois. Que peut dire le Dr Bélanger ?
La surcharge de travail pèse maintenant très lourd sur les épaules des médecins. Le volume normal d’activités pour un accomplissement optimal de la prestation de services à l’hospitalisation explose. L’achalandage est intense. Ce faisant, on en demande toujours plus aux docteurs. Bien que quelques-uns songent à quitter l’établissement, la plupart décident de continuer ou n’osent tout simplement pas s’opposer à de telles contraintes.
Dans de telles circonstances, les autorités de l’établissement, pour pallier le problème, peuvent-elles tout bonnement demander aux médecins en place d’en faire plus ? Dans l’affirmative, jusqu’où un établissement peut-il aller ?
La situation décrite en amorce se rencontre malheureusement trop souvent. Elle s’observe dans bien des régions du Québec. Il n’est pas toujours facile de répondre aux questions qu’engendre ce type de situation. Essayons tout de même d’y voir plus clair.
En vertu de la loi, un chef de département doit constamment s’assurer de la distribution appropriée des soins médicaux dans son département. Dans cette mesure, il lui revient donc de gérer ses ressources médicales, de faire la liste de garde et de coordonner les activités des médecins.
Sur le plan légal, un chef de département bénéficie ainsi d’un pouvoir d’autorité sur les membres de son département. Il peut certainement lui arriver d’en demander plus que la normale à ses joueurs lorsque surviennent des situations d’exception. Dans de telles circonstances, un médecin pourrait difficilement s’opposer, sans motif valable, aux directives de son chef.
Mais attention, un chef de département (ou un DSP agissant en lieu et place), au nom de l’établissement, doit toujours voir à faire bon usage de son pouvoir de direction et à bien le doser. La ligne entre le raisonnable et le déraisonnable n’est pas toujours bien définie.
Lorsque l’exception dans le volume d’activités d’un médecin devient la règle, il y a un problème.
Au-delà de ce que l’on peut demander occasionnellement à des médecins, une chose est claire dans la loi : la responsabilité première d’assurer la continuité des services incombe d’abord et avant tout à l’établissement. Pas aux médecins qui y travaillent. Il serait en effet trop simple pour un établissement de transférer invariablement ses propres obligations sur le dos des médecins.
L’article 101 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux est clair.
L’établissement doit notamment :
« 1. recevoir toute personne qui requiert ses services et évaluer ses besoins ;
2. dispenser lui-même les services de santé ou les services sociaux requis ou les faire dispenser par un établissement, un organisme ou une personne avec lequel il a conclu une entente de services visée à l’article 108 ;
3. veiller à ce que les services qu’il dispense le soient en continuité et en complémentarité avec ceux dispensés par les autres établissements et les autres ressources de la région et que l’organisation de ces services tienne compte des besoins de la population à desservir ;
4. diriger les personnes à qui il ne peut dispenser certains services vers un autre établissement ou organisme ou une autre personne qui dispense ces services ».
Comme nous venons de l’évoquer, lorsque la situation d’exception devient la norme, lorsqu’elle devient pratiquement chronique, les médecins ne peuvent tout faire. Ils s’exposent à des risques. Tant pour eux que pour leurs patients. N’oublions pas qu’ils sont aussi régis par leur code de déontologie.
Les articles 42 et 43 du Code de déontologie impose aux médecins de ne pas exercer au-delà de leurs limites ou dans des circonstances susceptibles de compromettre la qualité de leur exercice. Ce n’est pas une option, c’est une règle de conduite obligatoire. S’il survenait un incident engageant la responsabilité du médecin, il ne faudrait pas compter sur l’établissement pour le soutenir. La responsabilité déontologique est personnelle.
Si l’achalandage devient de moins en moins gérable, si le volume d’activités ne cesse de croître, la responsabilité de l’établissement n’est pas de s’en remettre constamment et strictement aux médecins à l’interne. Comme on l’a vu, il lui revient, en vertu de la loi, d’avoir une vision beaucoup plus large quant aux solutions à envisager.
Le risque pour l’établissement serait que des médecins arrêtent d’y pratiquer. En effet, en vertu de la loi, un médecin peut toujours expédier un avis de cessation d’exercice comportant un délai de soixante jours, sans avoir à justifier sa décision. Un tel avis, lorsque reçu par le conseil d’administration de l’établissement, est irrévocable selon la loi.
Le Dr Bélanger pourrait dire à l’établissement que les médecins qui y travaillent n’ont pas à assumer la responsabilité de problèmes qui sont, à la base, systémiques, et non simplement occasionnels ou temporaires. Un médecin doit bien sûr faire la part des choses. En situation de crise, on s’attendra à ce qu’il mette la main à la pâte. Toutefois, lorsque cette situation est récurrente et qu’on n’en voit pas la fin, les médecins ont raison de s’opposer. Ils doivent respecter leurs limites déontologiques.
Répétons-le, la Loi sur les services de santé et les services sociaux fait d’abord porter aux établissements, et non aux médecins, la responsabilité d’offrir les services correspondant à leurs différentes missions.
En définitive, un chef peut parfois en demander plus aux membres de son département, ou de son service, mais ces derniers ne peuvent excéder leurs limites déontologiques personnelles. Lorsqu’une situation d’exception perdure, il ne revient pas aux seuls médecins de la régler.
Rappelons en terminant que les travaux du Comité conjoint MSSS–FMOQ sur les conditions de pratique des médecins omnipraticiens du Québec prendront fin bientôt. La question des conditions de travail en établissement constituera une composante importante du rapport définitif du comité. //