Gestion pratique

L’espoir

Julie Lalancette  |  2019-02-04

Nous écrivons souvent dans notre direction des articles factuels sur les ententes ou l’organisation des services de proximité. À titre de nouvelle directrice que puis-je apporter de plus ? Une réflexion bien personnelle sur l’avenir de la médecine de famille, souvent déchirée par les contraintes qui lui sont imposées. Au cours des trente dernières années, l’étau s’est resserré progressivement au point ou, pour un jeune médecin, l’entrée en pratique cause de l’anxiété à la puissance 10. Pourquoi en sommes-nous rendus là ?

La Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice de la Planification et de la Régionalisation de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Bien sûr, la réponse n’est pas simple. Elle peut prendre une foule de couleurs, selon celui qui répond. Pour ma part, je dirais que les valeurs véhiculées par les pédagogues et les décideurs entrent souvent en conflit avec les valeurs actuelles de nos futurs collègues. Comment rallier la responsabilité sociale aux valeurs individuelles ?

Une des conférences qui m’a le plus marquée dans ma carrière fut celle d’une professeure de la Faculté d’éducation à l’Université de Sherbrooke il y a environ troisans. Elle brossait le portrait des générations en fonction de leurs caractéristiques et des changements sociétaux. Fait étonnant, la génération actuelle n’est pas si loin de celle des baby-boomers. En effet, ces derniers adorent se réunir pour refaire le monde sans que finalement « les bottines suivent les babines ». Nos jeunes collègues, à l’instar des baby-boomers, adorent aussi se réunir pour travailler en équipe. Ils sont productifs et créatifs, mais doivent absolument avoir du plaisir en temps réel. Comment alors faut-il leur ex­pliquer qu’il est primordial d’adhérer aux AMP ? Avec mes fils, j’ai essayé de leur expliquer qu’ils devaient souffrir un peu pour arriver à leurs fins. Je n’ai pas besoin de vous dire que le résultat est mitigé.

Pour les PREM, c’est la même chose. Spontanément, j’ai de­man­dé à un collègue qui n’a pas été soumis aux PREM « ce qu’il ferait s’il était dans le contexte actuel ». Sa réponse était la même que la mienne : « Je ferais mes 200 jours dans une région éloignée et, qui sait, peut-être aurais-je le goût de continuer. J’aurais ensuite la possibilité de m’installer à peu près où bon me semble ». Mais oui, quelle bonne idée ! Cela signifie que les régions éloignées auront dorénavant à composer avec des équipes volantes ? Tout ceci pour dire que nous faisons face à une lutte de valeurs modulées par une foule de considérations. C’est certainement une des raisons qui expliquent la rareté de la littérature traitant de la répartition des effectifs médicaux.

Dans le respect des ententes, nous devons constamment évaluer la situation d’un individu par rapport à la collectivité. C’est ainsi que nous avons à répondre de notre responsabilité à assurer le bien-être de l’ensemble de nos membres dans un souci d’équité.

Pour mieux comprendre la situation, il faut s’attarder à la formation du médecin de famille. Elle précède celle des au­tres spécialités quant à l’acquisition des compétences transversales. Bien avant le développement des autres spécialités médicales, les collèges de médecins avaient intégré ces notions dans leur cursus. Malgré le fait que la responsabilité sociale soit au cœur de la formation du médecin de famille, ces derniers, à l’instar de leurs collègues spécialistes, désirent se surspécialiser. Les titulaires de compétences avancées se font discrets dans leurs affirmations, mais le désir d’exercer uniquement dans leur domaine de compétence transcende le message politiquement accepté de la polyvalence. Comment pouvons-nous espérer, à long terme, être en mesure de répondre aux aspirations individuelles et procurer à tous un médecin de famille ?

Si l’engouement pour la médecine familiale continue de dé­croître, l’avenir est sombre. Comment peut-on retrouver l’espoir ? Les enjeux peuvent se transformer en défis dans la mesure où nous pourrons changer la pratique quotidienne lourde de responsabilités, d’obligations et de bureaucratie en expérience positive quant à l’ensemble de ses aspects.

Notre moral est à la baisse depuis plusieurs années, le taux d’épuisement professionnel en témoigne. Une des choses les plus difficiles à faire pour le médecin est d’établir ses limites et d’apprendre à dire non. Dire non collectivement au statut de fonctionnaire que certains d’entre nous endossent sans broncher. Il faut dire non à l’absurdité des calculs comptables pour lesquels personne ne connaît les répercussions sur la santé de la population. La reddition de compte passe avant tout par celle qu’on peut se faire à soi-même. Avant que l’État nous impose des contrôles de pertinence, il ne faut pas avoir peur de prôner l’excellence. Niveler vers le haut au lieu de subir en criant notre impuissance. Le pouvoir d’améliorer les choses est à notre porte dans la mesure où nous savons saisir les occasions. Nous avons en ce moment la possibilité d’intégrer d’autres professionnels de la santé dans nos organisations. Il est primordial de contrecarrer le désir de certains de constituer des silos de soins dans nos murs. Nos murs sont ceux de notre clinique, et même de nos locaux. S’approprier l’autorité fonctionnelle d’une équipe, cela veut dire s’imposer auprès des gestionnaires d’établissement pour renverser la vapeur en assumant pleinement notre rôle. Le leadership médical ne se limite pas à diviser les banques d’heures et à profiter de la décharge de travail qu’amènent les autres professionnels et les adjointes administratives.

Ce leadership s’exprime entre autres par un meilleur en­gagement de tous dans l’évolution du DME. Bien connaître les contrats, savoir négocier avec les fournisseurs en se regroupant et avoir une vision claire de l’évolution du DME de manière à exiger les fonctionnalités nécessaires à une pratique fluide et de qualité. Nous devons créer des réseaux et partager les expériences qui nous font avancer. Les enjeux de santé numérique, telles les plateformes de rendez-vous, la centralisation des demandes de consultation, le carnet de santé, sont des expériences de gestion du changement où la résistance ne devrait pas avoir sa place. Nous devons certes résister à l’obligation d’accepter des modèles qui ne nous conviennent pas, mais en proposant toutefois des pistes de solution pour arriver à des projets qui faciliteront notre travail au lieu de le compliquer.

L’espoir se trouve tous les jours dans le verre à moitié plein. Soyons forts, soyons experts, soyons branchés et, surtout, soyons fiers d’être des professionnels à part entière. La relève nous regarde. C’est le temps aussi pour nous de nous regarder. //