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Basée à Sept-Îles, la Dre Yveline Romain est la seule médecin à temps plein du Centre régional en gestion de la douleur chronique de la Côte-Nord. Elle est à 650 km de Québec et à 900 km de Montréal. Il y a un certain temps, un médecin de famille lui a adressé un patient aux prises avec des douleurs atroces et réfractaires aux traitements. L’homme ressent des élancements avec des pointes tellement insoutenables qu’il doit parfois se rendre aux urgences.
La clinicienne tente les analgésiques non opioïdes, les agents topiques, les relaxants musculaires, les antiépileptiques à action antalgique, les antidépresseurs, le cannabis synthétique, la morphine à libération immédiate et autres opioïdes ainsi que les blocs et infiltrations. Elle fait passer au patient tous les tests : radiographie, échographie, tomodensitométrie, imagerie TEP-IRM, etc.
« Malgré tous les essais, je suis arrivée à un plateau thérapeutique. Le patient ressent une amélioration, mais conserve des douleurs très invalidantes », explique l’omnipraticienne, qui a suivi un microprogramme de deuxième cycle en gestion de la douleur à l’Université de Sherbrooke.
La Dre Romain traite le patient en collaboration avec un physiothérapeute. Ce dernier travaille avec l’homme sur le plan musculosquelettique pour le remettre en forme. Récemment, les deux cliniciens ont entendu parler d’une physiothérapeute, pratiquant à 60 km de Sept-Îles, spécialisée dans la partie du corps faisant souffrir le patient. Ils ont demandé une consultation. « Il est cependant nécessaire de vérifier si ce type de traitement est adéquat ou s’il faut essayer une autre avenue. Je ne veux pas faire perdre de temps à mon patient, parce qu’il souffre depuis déjà plusieurs années », explique la Dre Romain.
Pour avoir l’avis d’experts, la médecin va présenter le cas à une téléclinique ECHO. Cette nouvelle formule lui donne accès à une quinzaine d’experts dans plusieurs disciplines : des anesthésiologistes, des médecins de famille ayant une expertise en douleur chronique, des infirmières, des psychologues, une psychiatre, une physiothérapeute, une travailleuse sociale, une acupunctrice et une pharmacienne. Il s’agit de l’équipe de la Clinique antidouleur du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Ces professionnels offrent bénévolement leur expertise par vidéoconférence une fois par semaine, le lundi de 12 h à 13 h.
La téléclinique, qui est également une séance de formation continue, est généralement suivie par une quinzaine de professionnels de la santé. Ils font partie du groupe de soixante et onze participants de toutes les régions du Québec qui se sont inscrits cette année au programme ECHO Douleur chronique : vingt-deux médecins de famille, vingt et une infirmières, six spécialistes, six pharmaciens, trois psychologues, etc. Ils assistent aux séances selon leur disponibilité. Chaque semaine, l’un d’eux, généralement un médecin, soumet un cas tandis que les autres écoutent, mais, tout comme le groupe d’experts, ils peuvent poser des questions et faire des suggestions.
Ce lundi midi, à Sept-Îles, la Dre Romain a réservé la bibliothèque de l’hôpital pour la séance de télémentorat ECHO. Elle est accompagnée du physiothérapeute, M. Alexandre Campeau-Larrivée, mais aussi du médecin de famille, de l’infirmière et de la neurologue. Elle a informé au préalable le patient de sa démarche et obtenu son autorisation.
À Montréal, au deuxième étage du Centre de recherche du CHUM, dans une salle de réunion spécialement équipée, les experts arrivent un à un. La pièce est meublée d’une grande table en face de laquelle se trouvent deux écrans. Sur celui de gauche, la Dre Romain et le physiothérapeute sont déjà présents. Sur celui de droite, une quinzaine de participants sont apparus graduellement. Face à eux, entourée des autres experts, la Dre Aline Boulanger, anesthésiologiste et responsable médicale du projet ECHO Douleur chronique, s’apprête à animer la rencontre.
La spécialiste a déjà fait un travail préparatoire. La Dre Boulanger, qui a reçu le cas d’avance, comme tous les participants, l’a analysé. « Lorsque je n’ai pas de solution à apporter, je peux en chercher dans la littérature. De plus, si aucun médecin du panel n’a l’expertise nécessaire, je peux également tenter d’en trouver un. J’ai déjà demandé, par exemple, à une neurologue de se joindre au groupe », explique la directrice de la Clinique antidouleur du CHUM.
La Dre Romain et M. Campeau-Larrivée commencent à présenter le cas. Portrait du patient, type de douleur, traitements pharmacologiques essayés, interventions médicales tentées, examens, interventions dans d’autres disciplines, puis description du traitement de physiothérapie. La question posée au groupe : face au syndrome douloureux chronique invalidant de ce patient, que préconisez-vous comme autres avenues à explorer ?
Au cours de la discussion, certains experts parlent de cas un peu similaires qu’ils ont eus. Ils discutent du recours à la physiothérapie spécialisée à laquelle songe la Dre Romain. Plusieurs proposent des traitements comme des infiltrations et l’utilisation de la neurostimulation électrique transcutanée (TENS) pour vérifier le territoire de la douleur. Certains membres du panel suggèrent aussi de faire voir le patient par une spécialiste du CHUM dont l’expertise pourrait aider le patient. Plusieurs consultants soulèvent par ailleurs la question des facteurs psychologiques. « On a toujours pensé qu’il y avait une composante sous-jacente, a expliqué la Dre Romain. Le patient est sur une liste d’attente pour voir un psychologue, mais en région c’est très long. »
Dans les jours suivants, la Dre Romain reçoit par télécopieur un résumé des recommandations. Selon la formule ECHO, elle n’est pas tenue de les suivre. La téléclinique ne constitue pas une consultation. C’est à elle de décider du traitement.
« La rencontre a confirmé ce que je pensais : c’est une bonne idée de recourir à la physiothérapie spécialisée, résume la Dre Romain. Le patient devrait commencer cette semaine. La téléclinique m’a par ailleurs permis d’apprendre que l’on pouvait utiliser un TENS tibial postérieur. On va pouvoir mettre cette modalité thérapeutique en application dès maintenant. » La Dre Romain vient d’ailleurs de recevoir des experts du CHUM les références pour cette technique. La clinicienne compte aussi adresser le patient à la spécialiste du CHUM dont les experts du panel lui ont parlé. L’équipe d’ECHO va faciliter l’obtention du rendez-vous. « La réunion m’a également donné d’autres suggestions, comme des blocs facettaires et des infiltrations, même si les premiers essais ont été négatifs. »
La clinicienne apprécie la formule de la téléclinique. « Le fait d’avoir toutes les disciplines autour de la table permet d’aborder toutes les facettes de la douleur. Quelquefois, on en néglige certaines ou on ne les traite pas parce qu’on n’a pas les intervenants disponibles. La douleur chronique nécessite une approche interdisciplinaire, parce que la souffrance est globale. »
Ce n’était pas la première fois que la Dre Romain présentait un cas au groupe. À l’automne, elle en avait soumis un très complexe de douleur post-traumatique. « On avait essayé des médicaments et des crèmes. J’avais envoyé le patient à Québec pour des infiltrations de botox, mais il continuait à éprouver une douleur épouvantable », raconte la médecin.
La praticienne avait, cette fois aussi, reçu plusieurs suggestions. « On m’avait entre autres conseillé de continuer le botox même si cela n’avait pas fonctionné parce qu’il faut en faire au moins trois fois pour conclure à son inefficacité. »
La plupart du temps, cependant, la Dre Romain assiste aux vidéoconférences pour écouter les cas des autres médecins. « Pour moi qui suis isolée, seule en région dans mon domaine, cela me permet d’entendre parler d’autres cas et d’avenues thérapeutiques intéressantes. Cela me donne l’occasion de connaître des expériences différentes », explique l’omnipraticienne, qui s’est inscrite au programme en septembre dernier.
Les cas présentés au cours des séances de télémentorat sont divers. « On a beaucoup de douleurs neuropathiques. On a également des troubles musculosquelettiques importants. Il y a aussi des patients chez qui les traitements habituels ont échoué ou qui ont des effets indésirables. Habituellement, on trouve des solutions », explique la Dre Boulanger.
Parfois, les cliniciens participants soumettent des cas de patients ayant des troubles complexes comprenant des problèmes psychosociaux ou psychiatriques importants. « Comme on a une psychiatre, des psychologues et des experts en réadaptation, le médecin peut recevoir différents conseils pour progresser avec son patient », précise l’anesthésiologiste.
À l’occasion, il y a de belles surprises, affirme la Dre Boulanger. « Certains des participants vont connaître des ressources ou des groupes que nous ignorons. On a déjà appris, dans le cas d’un patient ayant une douleur à un œil, qu’une équipe offrait un traitement particulier pour ce type de problème. »
Pour le patient, qui doit autoriser la présentation de son cas, les télécliniques ECHO présentent de grands avantages : la perspective de nouveaux traitements et, souvent, la chance d’y accéder rapidement. « On a réussi, par exemple, à obtenir extrêmement vite pour une personne qui présentait des troubles du mouvement une consultation avec l’équipe du CHUM spécialisée dans ce type de problème. Ce patient-là n’a pas été obligé d’attendre un an et demi pour une évaluation à la clinique de la douleur. Son médecin de famille a obtenu toute de suite l’information dont il avait besoin, et on a ensuite facilité la prise de rendez-vous. »
La démarche peut rassurer le patient. « Certaines personnes ont une vision magique des centres spécialisés. Elles se disent : “Si j’étais suivi au CHUM ou encore si j’allais à la clinique Mayo, aux États-Unis, ce serait bien mieux. Ils auraient la solution”. Parfois, il n’y a pas d’autres solutions. La téléclinique ECHO permet alors au patient de cesser de chercher partout et d’arrêter d’être déçu chaque fois », mentionne la Dre Boulanger.
Au cours de la séance de télémentorat, après la discussion du cas clinique, l’un des experts du panel présente une capsule didactique d’une dizaine de minutes. Ce lundi-là, la Dre Boulanger expliquait la buprénorphine. Un narcotique qui remplace la méthadone chez les patients toxicomanes voulant cesser les opioïdes. « Cet analgésique est intéressant dans le traitement de la douleur, parce qu’il provoque moins de somnolence et d’effets indésirables que les autres », a indiqué la spécialiste.
Dans les prochaines semaines, d’autres capsules seront présentées sur différents sujets : la névralgie faciale, la fibromyalgie, les céphalées et les migraines, etc. À l’occasion, ce seront des spécialistes invités qui feront l’exposé. Un pédiatre viendra parler de la douleur chez l’enfant et un gériatre des analgésiques chez la personne âgée. //
Le concept sur lequel reposent les télécliniques de la douleur s’appelle ECHO : Extension for Community Healthcare Outcomes. Il s’agit d’une formule qui met en lien une équipe de spécialistes avec des professionnels de la santé de première ligne grâce à une plateforme Web. C’est le Dr Sanjeev Arora, hépatologue au Nouveau-Mexique, qui a créé ce modèle en 2003.
« Le Dr Arora pratiquait dans un centre spécialisé au nord du Nouveau-Mexique. Comme cet état est grand, il a décidé de former des médecins de première ligne exerçant dans différents endroits du territoire pour qu’ils puissent traiter eux-mêmes leurs patients atteints d’hépatite C. De cette manière, les malades n’auraient pas à se déplacer. Le Dr Arora a ensuite étendu ce concept à tous les États-Unis, puis à d’autres pays », explique Mme Nicole Tremblay, l’une des gestionnaires du projet ECHO Douleur chronique du CHUM.
Cette formule, maintenant employée pour diverses maladies chroniques complexes, est novatrice. « ECHO augmente exponentiellement l’accès aux soins spécialisés par le déplacement des connaissances plutôt que des patients », expliquent les responsables du programme ECHO sur leur site de l’Université du Nouveau-Mexique (https://echo.unm.edu/).
Grâce au programme, les patients n’ont plus besoin d’attendre pendant des mois de voir un spécialiste. Ils peuvent être traités localement, rapidement et efficacement. Une étude publiée en 2011 dans le New England Journal of Medicine montre que les cliniciens de première ligne qui ont participé au projet ECHO ont obtenu chez leurs patients infectés par le virus de l’hépatite C des résultats semblables à ceux des spécialistes de l’Université du Nouveau-Mexique1. Le taux de réussite du traitement antiviral était similaire. Et le pourcentage d’effets secondaires importants n’était pas plus élevé. Au contraire.
Actuellement, les projets ECHO existent dans trente-quatre pays, au sein de 265 centres différents. On les retrouve dans soixante-neuf domaines médicaux : cancer, toxicomanie, obésité infantile, santé mentale, autisme, asthme, rhumatologie, santé des patients transgenres, etc. Au Canada, six centres, dont trois en Ontario, recourent à cette formule.
Au CHUM, c’est la Dre Claire Wartelle-Bladou, hépatologue, qui, la première, a entendu parler du concept ECHO. Elle est allée suivre une formation au Nouveau-Mexique et a lancé le projet ECHO Hépatite C au printemps 2017.
Mme Tremblay, qui a participé à la création des deux premiers projets ECHO du CHUM, a, elle aussi, suivi le cours. « On nous explique les règles à respecter et la procédure à suivre. » Le format des séances est standard : présentation des participants et des experts, explication du cas, discussion, etc. Un formulaire électronique doit être conçu pour la présentation des cas et un autre, pour l’envoi des suggestions de traitements.
Pour permettre la mise sur pied de projets ECHO, l’Université de Montréal et le CHUM ont chacun signé un accord avec le New Mexico Health Science Center. « Ces ententes nous donnent accès à une plateforme Web qu’on appelle Zoom. Elle donne la possibilité à tous les participants de se brancher gratuitement et est payée par l’Institut ECHO du Nouveau-Mexique », précise Mme Tremblay.
L’un des principes fondamentaux à respecter est la confidentialité. « Comme la plateforme n’est pas sécurisée, les cas présentés sont toujours anonymes, mentionne M. Paul Simard, lui aussi gestionnaire du projet ECHO Douleur chronique. Aucune information ne doit permettre d’identifier le patient. »
« La douleur chronique nécessite une approche interdisciplinaire, parce que la souffrance est globale. » – Dre Yveline Romain |
Deuxième programme ECHO du CHUM, le projet sur la douleur chronique a été lancé à l’automne 2017. La Dre Boulanger, qui a elle aussi suivi la formation, s’est chargée du volet médical. C’est elle qui a mobilisé les experts de la Clinique antidouleur du CHUM. Jusqu’à présent, 202 professionnels de la santé se sont inscrits au programme.
En septembre dernier, un troisième projet ECHO a vu le jour au CHUM : les troubles concomitants. Il est destiné aux professionnels de la santé et des services sociaux qui prennent en charge des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de dépendance.
Pour la Dre Boulanger, la formule ECHO constitue une solution nécessaire dans son domaine. « Si l’on considère qu’environ 1,5 million de personnes souffrent de douleurs chroniques au Québec, la vingtaine de cliniques de la douleur ne suffiront pas. Cela fait quelque 75 000 personnes par clinique. »
Il faut donc l’aide des médecins de première ligne. « Mais pour qu’ils participent, il faut qu’ils soient à l’aise de le faire. Ils doivent se sentir appuyés, secondés. Il y aura évidemment toujours des cas particuliers où le patient devra être envoyé dans un centre de la douleur, parce qu’il aura besoin d’un plateau technique et d’une équipe interdisciplinaire », précise l’anesthésiologiste.
Le concept ECHO permet aussi la création de communautés d’apprentissage. « C’est de la formation médicale continue dans un contexte interdisciplinaire, affirme M. Simard. L’objectif est de permettre aux gens d’apprendre par des discussions de cas. Selon la philosophie d’ECHO, tous les gens qui participent apprennent et enseignent. Les experts peuvent apprendre des participants. C’est un modèle basé sur la collaboration et le partage de connaissances et d’expériences cliniques. »
Il existe actuellement trois programmes ECHO au CHUM : hépatite C ; douleur chronique ; troubles concomitants. |
La formule n’est pas très exigeante, souligne le gestionnaire. « C’est une heure par semaine. Il y a trente-deux séances par année. La dernière aura lieu le 10 juin. Les gens peuvent s’inscrire quand ils le veulent. Ils n’ont pas à attendre en septembre pour entrer dans le programme, parce que celui-ci va être répété au cours d’un autre cycle. La participation aux télécliniques, auxquelles les gens peuvent assister selon leur disponibilité, donne par ailleurs droit à des crédits de formation continue. » //
h Pour plus d’informations sur le projet ECHO CHUM Douleur chronique : www.ruis.umontreal.ca/le-projet-echo-chum-douleur-chronique
h Pour plus d’informations sur le programme Avis d’expert : http://ruis.umontreal.ca/CEGDC