Questions... de bonne entente

Encadrement du loyer – I

Michel Desrosiers  |  2019-06-17

Nombreux sont les médecins qui louent un local pour leurs activités. Ils ne se soucient pas toujours de l’entente gouvernant la location. Mais le Collège des médecins s’assure que les médecins respectent les exigences du Code de déontologie. Aussi bien savoir comment le Collège voit les choses.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ.

Le Code de déontologie prévoit quelques règles spécifiques (encadré 1) concernant le contenu des ententes donnant accès à un local pour y exercer des activités professionnelles (plus souvent un bail). Il faut être conscient que certaines règles d’application générale peuvent également avoir un effet sur les engagements que vous pouvez contracter dans le cadre d’une telle entente (nous en traiterons dans un deuxième temps). Revoyons d’abord certaines des règles spécifiques.

Entente écrite (bail)

Des médecins appellent souvent à la Fédération relati­ve­ment à des obligations contenues dans leur bail ou à la suite de contrôles par le Collège des médecins concernant leur entente ou leur bail. Certains partent de loin : ils n’ont aucune entente écrite, se contentant d’une convention verbale, voire d’un historique de paiement de loyer, sans entente claire sur les autres obligations de part et d’autre. Ils ont intérêt à signer un bail ou à convenir d’une entente écrite, car c’est une exigence du Code de déontologie.

Même dans les rares situations où le médecin ne paie pas de loyer (du fait qu’il rend des services dans une congrégation religieuse, par exemple, et que le milieu lui offre de façon accessoire un local pour voir des membres ambulatoires de la congrégation ; encadré 2), le Code de déontologie prévoit qu’il doit avoir une entente écrite décrivant l’ensemble des obligations de part et d’autre (art. 72). Cette exigence a sans doute pour but de permettre au Collège de vérifier que le taux du loyer ne crée pas de conflit d’intérêts ou d’apparence d’un conflit. Le Collège s’assure ainsi qu’il n’y a pas d’ententes secrètes ni de réduction de loyer ou de ristournes liées à des facteurs qui ne respecteraient pas le Code de déontologie.

Le « bailleur » qui fournit gratuitement un local peut ne pas se voir comme un locateur immobilier et avoir certaines réticences à convenir d’une entente écrite qui pourrait ajouter à ses obligations envers le médecin. Néanmoins, c’est une obligation déontologique du médecin. Mieux vaut donc s’y conformer. Dans le cas de la location d’un emplacement dans une clinique médicale, même si le Code de déontologie ne l’exigeait pas, un bail écrit évite bien des débats lorsque le médecin cesse la pratique ou cherche à déménager. C’est une précaution élémentaire.

Le Code de déontologie exige aussi que tout bail comporte une déclaration du médecin voulant que les obligations qui découlent de l’entente respectent les exigences du Code de déontologie, de même qu’une autorisation expresse d’en communiquer le contenu au Collège des médecins sur demande. Il peut être prudent d’inclure dans l’entente non seulement la déclaration du médecin, mais également une déclaration des deux parties (dans une section traitant des règles d’interprétation du contrat) selon laquelle elles cherchent à respecter le Code de déontologie et que les différentes exigences du bail doivent être interprétées conformément à ce code. Cette déclaration devrait probablement aussi énoncer que les parties conviennent que toute clause jugée non conforme au Code de déontologie est invalidée, sans pour autant que les autres clauses conformes du bail le soient.

Discutons des contrôles exercés par le Collège des médecins, puis de certaines clauses qui donnent lieu à des questions répétées.



Le Code de déontologie exige que vous déteniez un bail écrit complet visant un immeuble ou un espace au sein duquel vous exercez vos activités professionnelles.

Vérification que le montant du loyer est raisonnable

Le Code de déontologie énonce comme principe général que le médecin doit ignorer toute intervention qui ne respecte pas sa liberté professionnelle (art. 7). Lue largement, une telle injonction exige qu’il évite de se placer en situation de conflit d’intérêts, du moins en ce qui a trait aux questions les plus fréquentes, soit la liberté du patient de choisir un fournisseur pour un produit de santé ou le type de traitement lorsque plus d’un traitement est approprié.

Mais le Code de déontologie ne fait pas qu’énoncer le principe général. Dans la section traitant du désintéressement et de l’indépendance professionnelle, il établit spécifiquement que le médecin ne doit pas se placer en situation de conflit d’intérêts, soit une situation où il pourrait privilégier d’autres intérêts au détriment de ceux du patient (art. 63). Une telle situation pourrait survenir si le loyer du médecin était fonction du nombre de prescriptions que les patients du médecin faisaient exécuter par le pharmacien voisin, locateur du médecin. Elle pourrait aussi se produire dans le cadre d’un projet de recherche dans lequel le médecin ayant de la difficulté à enrôler un nombre suffisant de patients pour pouvoir publier ses résultats tentait de convaincre les rares patients admissibles à y participer.



Le Code de déontologie exige aussi que votre bail comporte une déclaration du médecin selon laquelle il respecte les exigences du Code de déontologie, de même qu’une autorisation expresse d’en communiquer le contenu au Collège des médecins sur demande.

Encadré 1

Concentrons-nous sur le contenu du bail. Les articles dans l’encadré 1 ajoutent des volets spécifiques concernant le conflit d’intérêts. Les loyers gratuits ou à rabais sont interdits s’ils créent une apparence de conflit d’intérêts. On comprendra tout de suite qu’une telle situation sera scrutée de plus près lorsque le locateur sera un pharmacien ou un fournisseur de produits (prothèses auditives, aides au déplacement) ou de services (traitements, prélèvements, analyses, etc.) de santé. Certaines situations ne posent aucun risque de conflit d’intérêts, comme dans l’exemple que nous avons déjà donné d’un local pour la clientèle ambulatoire au sein d’une congrégation religieuse. En résidence pour personnes autonomes, en l’absence de pharmacien ou d’autres fournisseurs de services de la santé, on serait porté à croire que la situation est comparable. Cependant, le Collège nous indique y regarder de plus près dès que le médecin ne se limite pas à y recevoir seulement les patients à mobilité limitée de la résidence. En cas de doute, vous pouvez plutôt voir les patients ambulatoires dans leurs appartements.

Qu’en est-il d’un locateur commercial, d’un assureur qui gère un portefeuille immobilier ou une fiducie de placement immobilière ? À première vue, on pourrait croire qu’il n’y aura jamais de conflit d’intérêts. Mais le Collège voit la situation autrement et nous indique quand même tenir à s’assurer que le loyer n’est pas « au rabais », même lorsque le locateur n’a aucune activité de nature médicale ou de santé.

La Fédération a fait remarquer au Collège qu’elle trouvait une telle lecture exagérée. Néanmoins, si vous vouliez contester l’attitude du Collège lors d’une vérification, vous devez savoir que l’enjeu est de taille. Le Collège ne devrait pas abuser de cette disproportion. On s’attendrait à ce qu’il y ait place à de la discussion sur ce qui peut justifier un loyer « inférieur au marché » dans ce genre de situation. Il faut tout de même être conscient de l’attitude actuelle du Collège. Un loyer « très » inférieur au prix courant ou gratuit risque de soulever des questions, même lorsque votre locateur n’a pas d’activités en santé.

D’où vient ce pouvoir de contrôle du Collège ? Le Code de déon­to­logie n’est pas seulement un énoncé de principes pour guider le professionnel, mais bien un ensemble de prescriptions spécifiques que doit respecter le médecin. Lorsque le code prévoit des règles concernant le montant du loyer, le Collège peut effectuer un contrôle.

Ce contrôle prendra plus souvent la forme d’une demande de la part du Collège de lui transmettre une copie du bail et, en fonction du loyer, pourra être suivi d’une demande de démontrer que le loyer est raisonnable eu égard à la situation locale. Notez que la règle (art. 73.1, dernier alinéa) prévoit que l’évaluation remonte au moment de la conclusion du bail. Mieux vaut donc garder toute documentation sur les taux de loyer commerciaux de l’époque, jusqu’à la fin de votre bail. C’est plus facile de conserver une telle documentation lorsque vous faites les démarches pour conclure un bail que de tenter de la reconstituer plusieurs années plus tard.

L’interdiction de convenir d’un loyer à rabais ne vous empêche toutefois pas de négocier le loyer et de tirer parti de certains avantages que vous pouvez avoir dans ce cadre, même lorsque votre locateur est pharmacien. Les cliniques médicales, tout comme les pharmacies et les épiceries de grandes surfaces, peuvent avoir un attrait purement commercial pour un locateur du fait que ces entreprises entraînent une circulation régulière de clients. Cette clientèle pourra donc augmenter l’affluence auprès des autres locataires du locateur. De plus, certains locataires sont plus intéressants du fait de leur solvabilité ou de la durée du bail qu’ils envisagent. Les cliniques médicales font rarement faillite et privilégient généralement des baux de plus longue durée, autant de facteurs qui peuvent amener un locateur à offrir un loyer inférieur à ce qu’il exigerait d’un autre commerçant, sans que le médecin se trouve en situation de conflit d’intérêts. Mais on peut s’attendre à ce que le Collège veuille connaître la raison qui justifie le loyer demandé quand le locateur est pharmacien ou fournit des biens et des services recommandés ou prescrits par le médecin (orthèses, laboratoire, centre de prélèvement ou autre).



Même lorsque le locateur n’a aucune activité de nature médicale ou de santé, le Collège cherche quand même à s’assurer que l’entente ne place pas le médecin en situation de conflits d’intérêts.

Encadré 2

Et il ne faut pas oublier les variations du cycle économique. La clinique qui souhaitait louer en 2009 dans le creux de la crise financière pouvait se faire offrir des conditions plus avantageuses que celle qui voulait louer en 2006, lorsque l’économie était en pleine expansion. Il existe aussi un cycle de construction immobilière, qui est généralement un peu en retard sur le cycle économique, qui peut influer sur les conditions offertes à une clinique médicale. Lorsque plusieurs immeubles cherchent des locataires, cette situation influe aussi sur les loyers demandés ou les conditions offertes.

Bref, conservez des éléments objectifs permettant d’évaluer le loyer convenu. Si vous êtes simple locataire au sein d’une clinique, il pourra s’agir des comparaisons que vous avez effectuées avant d’arrêter votre choix. Si vous êtes actionnaire d’une clinique, il pourra s’agir d’une copie du rapport d’agent de location décrivant le marché local et les tarifs des autres immeubles envisagés ou des annonces des journaux locaux. De tels documents vous permettront de répondre rapidement à une demande du Collège concernant votre loyer.

Et n’oubliez pas vos obligations de répondre avec diligence aux demandes du Collège des médecins (art. 116 et 120).

Vous constatez que vous devez corriger certaines lacunes ? Selon le type de milieu où vous exercez, la Fédération peut vous suggérer des modèles que vous pourriez adapter. Et n’oubliez pas de réunir tous les documents vous permettant de comparer les loyers demandés dans des milieux comparables et de les conserver jusqu’à la fin de votre bail existant.

Il reste quelques autres clauses de baux qui donnent souvent lieu à des questions : les clauses de non-concurrence et les clauses interdisant d’exercer dans d’autres cliniques. Nous en traiterons dans l’article suivant. À la prochaine ! //