Ces omnipraticiens qui innovent !
Inspirés par leurs stages, leurs rencontres, leurs lieux de pratique, des médecins de famille ont créé de nouveaux projets pour mieux soigner leurs patients.
Désengorger les urgences, diminuer le nombre d’injections faites à l’aveugle, faciliter le dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), soigner les allergies hors des grands centres, offrir un meilleur accès aux soins aux plus démunis, ce ne sont que quelques exemples de mesures mises en œuvre par des médecins de famille ayant décidé d’aller au-delà de leur pratique.
Pratiquant aux urgences de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal depuis 2002, le Dr Alexandre Messier n’en pouvait plus de voir, jour après jour, les engorgements à répétition dans son établissement. Il était en voie de devenir – c’est lui-même qui le dit – un « chialeux ». En 2012, ce fut le point de non-retour. « Soit je participais à l’effort de désengorgement, soit je quittais l’urgence à jamais », raconte l’urgentiste, qui a préféré la première option.
Son projet de réorientation des patients, créé en 2015, figure parmi ses plus belles réussites. « À l’aide d’un algorithme médical unique, l’infirmière du triage peut désormais diriger de façon sûre un patient vers une clinique de première ligne, sans qu’il doive attendre davantage à l’urgence. Et si possible vers son médecin de famille », explique le Dr Messier qui a mis sur pied le concept avec un programmeur en informatique.
Ce projet, tient à préciser le médecin, ne repose nullement sur le système P4 et P5. « Nous sommes parvenus à créer un outil Web qui, en moins de trente secondes, permet à l’infirmière de passer à travers l’algorithme d’une cinquantaine de problèmes de santé et de prendre un rendez-vous pour le patient dans une clinique dans les trente-six prochaines heures. »
Piloté en collaboration avec le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, ce système a d’abord été établi à l’Hôpital du Sacré-Cœur pour ensuite faire son entrée, dix-huit mois plus tard, à l’Hôpital Fleury et à l’Hôpital Jean-Talon. Jusqu’à maintenant plus de 42 500 patients ayant des problèmes non urgents ont pu être réorientés vers des cliniques médicales. Ce qui constitue, en moyenne, 15 % de la clientèle ambulatoire qui se présente aux urgences. « Et aucun cas de complication n’a été rapporté », insiste le médecin d’urgence.
La mise en œuvre de ce système s’est également traduite par une diminution des temps d’attente de 18 % à 44 % pour les patients ambulatoires qui n’ont pu être réorientés. Ces personnes représentent 60 % des gens aux urgences. Une étude menée à l’Hôpital du Sacré-Cœur montre que plus de 95 % des patients croient que ce système devrait exister partout au Québec.
Présentée au Symposium sur les innovations du Collège québécois des médecins de famille au printemps 2017 ainsi que dans plusieurs autres congrès médicaux en France, en Belgique et au Luxembourg, l’initiative du Dr Messier est même commercialisée depuis un an afin de permettre aux autres établissements de santé de la province et d’ailleurs d’en bénéficier.
La Clinique Quorum, située sur le boulevard de Maisonneuve, à Montréal, vient à peine de souffler la bougie de son premier anniversaire et déjà le quatuor de jeunes médecins qui la dirige cumule les projets novateurs. Parmi ceux-ci se trouve une première au Canada : la création d’un centre d’autoprélèvement en ligne, Prélib.
Jamais le dépistage d’une ITSS n’aura été aussi accessible et discret. Le secret : une nouvelle plateforme lancée à l’automne 2018 par les Drs Khadija Benomar, Marylène Quesnel, Vincent To et Maxim Éthier. À l’exception de la prise de sang faite par une infirmière, tout le processus, qui recourt à des technologies de télécommunication à toutes les étapes, se déroule sans contact direct avec un autre être humain. « Les utilisateurs sont d’abord invités à se créer un profil en ligne afin d’y remplir un questionnaire médical, de recevoir des conseils personnalisés et de prendre rendez-vous au centre », explique le principal instigateur de la plateforme, le Dr Maxim Éthier.
Au moment du rendez-vous, poursuit-il, le patient accède à l’aire d’attente par une borne d’inscription à l’aide d’un code d’accès. Une brève rencontre avec une infirmière permet de confirmer l’identité de l’utilisateur qui peut, ensuite, obtenir une prise de sang ou effectuer un autoprélèvement dans une cabine individuelle. Qu’il s’agisse de prélèvements buccaux, génitaux, urinaires ou autres, l’utilisateur n’a qu’à suivre les vidéos explicatives projetées sur un écran pour procéder correctement. Les résultats lui sont ensuite transmis en ligne.
En fait, indique le Dr Éthier, cette nouvelle plateforme permet à toute personne sexuellement active d’accéder à un dépistage plus rapide, plus efficace et surtout très confidentiel. « Conscient des barrières liées au partage des renseignements sexuels et de la stigmatisation entourant les ITSS, nous avons voulu éliminer tous ces aspects négatifs entourant le processus de dépistage », précise le médecin spécialisé en santé sexuelle depuis les débuts de sa pratique en 2014.
En mai dernier, plus de cinq cents personnes avaient recouru à ce nouveau service en ligne. Les résultats sont déjà marquants. « Chez près de 25 % des utilisateurs, il s’agissait d’un tout premier dépistage », observe le Dr Éthier.
Pourquoi avoir choisi le « Village » pour pratiquer et innover ? Ce territoire a toujours présenté un besoin accru en soins liés aux ITSS, dont le VIH et l’hépatite C, signale le Dr Vincent To, qui a lui aussi contribué à la création de la plateforme Prélib. « Depuis que nous avons ouvert la clinique Quorum en juin 2018, nous nous sommes donné pour mission d’augmenter l’accès aux soins pour la population marginalisée de Montréal, plus particulièrement la population LGBTQ2. »
L’équipe de médecins de Quorum travaille par ailleurs déjà à d’autres projets, dont plusieurs pour venir en aide aux patients ayant une dépendance aux opioïdes. Ces médecins ont récemment ajouté des implants de buprénorphine et des traitements injectables par agonistes opioïdes dans leur arsenal thérapeutique. Cette pratique, encore peu exploitée au Québec, pourrait éventuellement contribuer à réduire la crise des opioïdes.
Que le Collège des médecins recommande aujourd’hui l’emploi d’un appareil échographique dans toutes les urgences de la province repose en partie sur la croisade que mène le Dr Stéphane Rhein depuis sa toute première année de pratique en 2006. Ce médecin de famille, qui est également médecin d’urgence au Centre hospitalier Charles-Le Moyne, souhaite que l’échoguidance ne devienne rien de moins qu’une norme de pratique pour tous les médecins de famille.
« Les appareils d’échographie sont devenus beaucoup plus accessibles qu’il y a vingt ans. C’est ce qui explique que nous commençons à peine à percevoir les nombreux avantages de cette technologie autrefois réservée aux radiologistes », indique le Dr Stéphane Rhein.
Grâce à l’échoguidance, explique le clinicien, le taux de réussite des installations d’accès veineux périphériques a grimpé à 97 %1. Il était à moins de 35 % avec une approche sans repère. L’appareil a aussi permis de réduire considérablement le nombre d’essais, qui sont passés de 3,7 à 1,7. « Non seulement cela fait gagner du temps, mais l’utilisation de cet appareil rend l’expérience beaucoup moins désagréable pour le patient qui se fait piquer », soutient le Dr Rhein.
C’est à la suite d’une conférence présentée par le Dr Raymond Wiss, ancien médecin de l’Armée canadienne devenu urgentiste en Ontario, que le Dr Rhein, alors jeune médecin, a été séduit par les multiples vertus de l’échoguidance. « Le Dr Wiss a été parmi les premiers au pays à encourager l’utilisation de cet appareil à d’autres fins que des examens radiologiques », raconte le Dr Rhein qui pratique également dans une clinique à Greenfield Park.
Les atouts de la technique sont nombreux. « Grâce à leurs “yeux échographiques”, les infirmières peuvent augmenter leur taux de succès de canulation de voies veineuses périphériques chez les patients difficiles à piquer. Les médecins peuvent également voir le biseau de leur aiguille du début jusqu’à la fin de la procédure. Il s’agit d’un grand pas pour les techniques de blocs et de ponctions articulaires faites avec repères anatomiques », poursuit le médecin.
Tellement convaincu des avantages de l’appareil, le Dr Rhein multiplie les formations qu’il donne à ce sujet depuis le début des années 2010. Il a par ailleurs remporté une mention spéciale en 2013 au gala du Conseil québécois de développement professionnel continu des médecins. Il a été salué pour la création de son programme de formation offert aux infirmières de l’urgence.
La prochaine étape : offrir une formation aux omnipraticiens afin qu’ils puissent, eux aussi, se servir de l’échographie pour les ponctions et infiltrations faites habituellement sans repères anatomiques. Les deux premières formations déjà inscrites au calendrier de la FMOQ (juin et octobre) affichaient complet.
Certains médecins parcourent le globe afin d’aider les plus démunis. La Dre Fabienne Djandji, fraîchement diplômée, n’a eu qu’à traverser le fleuve Saint-Laurent pour se trouver face à une clientèle très vulnérable.
En collaboration avec l’organisme Pacte de rue et le CISSS de la Montérégie-Ouest, la Dre Djandji a mis sur pied, en avril dernier, une clinique de proximité qu’elle qualifie, pour le moment, de virtuelle. « Notre clinique s’inspire d’un modèle existant déjà à Vancouver. Nous avons une infirmière qui parcourt pendant une vingtaine d’heures par semaine les bars, les soupes communautaires, les refuges et autres endroits susceptibles d’attirer des gens ayant des difficultés. Quand elle repère des personnes ayant besoin de soins, elle me contacte par texto afin que je fixe un rendez-vous avec eux à l’endroit qui leur convient », explique l’omnipraticienne de 28 ans.
Le sud-ouest du Québec, particulièrement les secteurs de Salaberry-de-Valleyfield, de Beauharnois et d’Huntingdon, affiche des taux de pauvreté, d’itinérance et de surdose de fentanyl parmi les plus élevés de la province, indique la clinicienne. « Et compte tenu de la proximité des frontières américaine et ontarienne, ce territoire est très propice au trafic de drogues. Tous ces facteurs m’ont incitée à vouloir aider cette population », poursuit la Dre Djandji.
Jusqu’à maintenant, l’omnipraticienne a eu l’occasion de voir une dizaine de patients. « L’objectif est de pouvoir en rencontrer plus d’une vingtaine par semaine. Des personnes qui, pour la plupart, n’ont même pas de carte soleil. L’essentiel est de pouvoir bâtir un lien solide avec elles, de gagner leur confiance et peut-être de parvenir à les intégrer dans la société. »
Il y a une trentaine d’années, souffrir d’allergies en Mauricie était doublement éprouvant. Non seulement les patients devaient supporter ces affections, mais ils devaient en plus se rendre chaque semaine à Montréal ou à Québec pour en être soulagés. Grâce au Dr Pierre-Alain Houle, un de ces problèmes a été complètement éliminé.
Ce médecin de famille a créé AllergieMed, la toute première clinique de la Mauricie entièrement consacrée aux traitements des allergies et à la recherche. On lui doit aussi un centre de recherche portant principalement sur les allergies, le Centre d’investigation clinique de la Mauricie.
« Aujourd’hui, nous traitons plus de quatre cents personnes par semaine », souligne le Dr Houle. Les patients ont également l’avantage d’éviter des délais de plus d’un an avant de commencer leurs traitements. « La plupart attendent quatre mois, au maximum six », soutient le clinicien spécialisé en allergies.
La clinique du Dr Houle soigne les patients souffrant d’asthme, d’allergies alimentaires, d’allergies pulmonaires et d’allergies saisonnières. « Le bouleau et l’herbe à poux, dont les pollens sont les principaux responsables du rhume des foins, sont des espèces végétales qui pullulent sur le territoire de la Mauricie », signale-t-il.
Au fil des années, le Dr Houle s’est entouré de trois médecins et de quatre infirmières qui couvrent également les villes de La Tuque, Shawinigan, Nicolet et même Joliette, dans Lanaudière. « Ma plus grande satisfaction demeure la création de notre centre de recherche au sein même de la clinique. Il nous a permis de mettre au point une vingtaine de nouvelles molécules qui ont servi à l’élaboration de nouveaux médicaments notamment contre l’asthme et les allergies », dit-il.
Tous ces projets inspirants ne constituent qu’une infime partie de l’ensemble des accomplissements d’une foule de médecins de famille engagés un peu partout au Québec. Des omnipraticiens qui caressent le même et unique objectif : mieux répondre aux besoins des patients. //
CISSS de Laval, CISSS des Laurentides, CISSS Richelieu-Yamaska, Institut de Cardiologie de Montréal… le concept de l’accueil clinique a, depuis dix ans, été mis en œuvre dans près d’une trentaine de milieux hospitaliers de la province. Aujourd’hui, des médecins de famille et des infirmières de triage peuvent ainsi, selon des algorithmes, permettre rapidement à leurs patients de consulter un médecin spécialiste et de bénéficier d’un plateau technique.
C’est au Dr Claude-André St-Laurent, médecin superviseur et professeur adjoint de clinique au GMF-U du sud de Lanaudière, que l’on doit cette importante avancée organisationnelle en 2005. « Il y a quinze ans, il devenait de plus en plus difficile pour les omnipraticiens d’avoir accès aux plateaux techniques et aux médecins spécialistes. C’était aussi l’époque où l’on voyait de plus en plus de patients se présenter à l’urgence… sans qu’il y ait vraiment urgence. En revanche, le traitement de leurs problèmes de santé ne devait pas non plus traîner. Ce pouvait être des douleurs thoraciques, des douleurs abdominales de type coliques hépatiques, des infections récidivantes. C’est ce que l’on appelait des problèmes subaigus », raconte le médecin.
Le Dr St-Laurent a rencontré plus d’une douzaine d’experts, notamment des chefs de service, des neurologues, des pneumologues, des chirurgiens et des orthopédistes, pour déterminer une soixantaine de ces problèmes de santé qui sont devenus les tout premiers à faire l’objet d’algorithmes à l’accueil clinique.
Dès le lancement, six cliniques et deux CLSC du sud de Lanaudière ont mis en place le concept. Quel a été l’effet de l’accueil clinique sur les patients ayant des problèmes subaigus ? « Ils ont tous été surpris et satisfaits par la rapidité et la qualité des soins. La plupart des cas classés “subaigus de type A” peuvent aujourd’hui être pris en charge, comme il se doit, en moins de soixante-douze heures. Les cas “subaigus de type B”, eux, sont maintenant pris en charge, comme prévu, en moins de dix jours », explique le médecin.
Des chiffres à l’Hôpital du Sacré-Cœur
Certains adeptes de l’accueil clinique ont également enregistré quelques données intéressantes. C’est le cas du Dr Alexandre Messier, urgentiste à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, qui a mis en place l’accueil clinique en 2014. Pour s’assurer de l’efficacité du modèle au sein de son établissement, le Dr Messier indique n’avoir introduit que vingt et un algorithmes.
Depuis, l’accueil clinique a permis de venir en aide à plus de deux mille patients par année, indique le médecin. Une étude, menée à l’interne, a montré que le temps d’attente des patients de l’accueil clinique ayant eu une thrombophlébite a diminué de moitié (plus de six heures) avant de voir le spécialiste. Et ce sans mettre les pieds à l’urgence ! Et les médecins ? « Parmi les quatre-vingts médecins de famille sondés à l’interne, 95 % ont indiqué être très satisfaits du processus. » CH
1. Costantino TG, Parikh AK, Satz WA et coll. Ultrasonography-guided peripheral intravenous access versus traditional approaches in patients with difficult intravenous access. Ann Emerg Med 2005 ; 46 (5) : 456-61.