Y a-t-il des effets sur le plan cognitif ?
La déprescription d’antihypertenseurs chez des résidents de CHSLD peut-elle avoir une incidence sur leurs fonctions cognitives ? Une étude du JAMA Internal Medicine montre que cette mesure pourrait être associée à une légère diminution du risque de déclin cognitif, surtout chez les patients atteints de troubles neurocognitifs1.
Aux États-Unis, le Dr Bocheng Jing et ses collaborateurs ont analysé rétrospectivement les données de quelque 12 000 vétérans vivant dans des maisons de soins. Recourant à une méthode simulant un essai clinique (target trial emulation approach)* à partir d’une étude observationnelle longitudinale, ils ont divisé les résidents en deux groupes : ceux dont la dose d’antihypertenseurs est restée stable et ceux dont elle a été réduite de 30 % ou dont le nombre d’antihypertenseurs a diminué. Le suivi était de deux ans. Les résidents dont la pression sanguine dépassait 160 mmHg/90 mmHg et ceux atteints d’insuffisance cardiaque étaient exclus.
Résultat : dans l’analyse par protocole, le groupe de déprescription avait une baisse de 12 % du risque de déclin cognitif par période de 12 semaines par rapport au groupe stable (rapport de cotes [RC] : 0,88 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % 0,78–0,99). Chez les patients déjà atteints de démence, cette diminution était de 16 % (RC : 0,84 ; IC à 95 %, 0,72–0,98).
Interniste-gériatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le Dr Philippe Desmarais n’est pas très impressionné par les résultats. « La différence entre les deux groupes est très légèrement significative (voir les intervalles de confiance). D’un point de vue clinique et individuel, peut-on vraiment s’attendre à une amélioration cliniquement importante des fonctions cognitives si on déprescrit des antihypertenseurs ? Je ne le pense pas. »
Les résultats ne sont néanmoins pas inutiles. « Même si ce n’est pas ce que les auteurs voulaient montrer, je crois que leurs données peuvent rassurer le clinicien qui souhaite déprescrire des antihypertenseurs : il n’a pas à craindre une détérioration des fonctions cognitives », mentionne le chercheur du Centre de recherche du CHUM.
Le traitement intensif de l’hypertension chez des personnes très âgées n’est d’ailleurs pas toujours bénéfique sur le plan cognitif. « La haute pression, qui est un facteur de risque connu de plusieurs maladies cardiovasculaires et vasculaires cérébrales, peut aussi être considérée comme une réaction physiopathologique lorsque les vaisseaux sanguins du cerveau sont envahis de plaques athéromateuses qui affectent la capacité à régulariser le flot sanguin cérébral. En diminuant trop ou trop rapidement la pression générale, on peut causer une hypoperfusion cérébrale et ainsi provoquer des déficits cognitifs, comme de l’inattention et un ralentissement psychomoteur. On le voit en clinique chez les grands cardiaques surtraités qui présentent également une maladie vasculaire cérébrale importante et une fragilité cognitive. »
La conclusion de l’étude de l’équipe du Dr Jing peut donc avoir des fondements logiques. « On peut émettre l’hypothèse que si on traite moins vigoureusement l’hypertension chez certains patients ciblés très âgés, fragiles, polymédicamentés et ayant des troubles cognitifs, ils évolueraient peut-être mieux sur le plan cognitif », indique le Dr Desmarais.
Dans quelle mesure faut-il craindre les effets de l’hypertension sur les facultés intellectuelles ? L’association entre haute pression à un âge moyen et démence à la fin de la vie est solide. Mais certains facteurs peuvent modifier ce lien, indiquent le Dr Jing et ses collaborateurs. Deux études longitudinales, l’AGE-Reykjavik et l’ARIC, semblent le montrer. Ainsi, parmi leurs participants, ceux qui avaient été hypertendus dans la cinquantaine et dont la pression artérielle avait baissé plus tard présentaient ensuite de moins bonnes performances cognitives. En revanche, les fonctions cognitives des participants qui n’avaient pas été hypertendus au milieu de leur vie restaient généralement constantes, quelle qu’ait été leur pression artérielle par la suite.
« Ce schéma semble indiquer que les effets à long terme de l’hypertension sur les fonctions cognitives peuvent varier en fonction du moment d’apparition de l’hypertension et de sa durée. Le fait de reconnaître les effets différents de l’hypertension au cours de la vie peut aider à cibler le moment optimal pour la déprescription », soulignent les chercheurs.
Une fois la réduction des antihypertenseurs amorcée, une étape est ensuite importante : le suivi, ajoute le Dr Desmarais. « Il faut voir s’il y a décompensation de la maladie ou du facteur de risque pour lesquels les antihypertenseurs ont initialement été prescrits. Est-ce que la pression remonte à des valeurs très importantes ? Y a-t-il réémergence de certains symptômes ? »
*La méthode emploie des stratégies statistiques pour simuler un essai contrôlé à répartition aléatoire afin de réduire certains biais liés aux études observationnelles.
1. Jing B, Liu X, Graham L et coll. Deprescribing of antihypertensive medications and cognitive function in nursing home residents. JAMA Intern Med 2024 ; 184 (11) : 1347-55. DOI : 10.1001/jamainternmed.2024.4851.