Nouvelles syndicales et professionnelles

Pilule abortive sans échographie préalable

une possibilité sûre et efficace

Élyanthe Nord  |  2025-02-01

Pour les patientes qui désirent une interruption de grossesse, la pilule abortive peut être une solution intéressante et rapide. D’autant plus rapide qu’elle peut être prescrite en toute sécurité sans échographie préalable, vient de montrer l’étude VEMA (Very Early Medication Abortion), publiée dans le New England Journal of Medicine1.

Plusieurs se demandaient si l’on pouvait offrir un avortement médicamenteux au tout début de la gestation. Avant même que la grossesse soit visible à l’échographie. Bien des médecins hésitaient à cause de l’éventualité d’une grossesse ectopique. Mais cette crainte ne serait pas justifiée, selon l’essai clinique.

L’étude VEMA s’est déroulée dans 26 centres situés dans neuf pays, dont le Danemark, l’Australie, le Népal et la Suède. Les chercheurs, la Dre Karin Brandell, de Suède, et son équipe, ont recruté 1504 femmes désirant un avortement pharmacologique. Toutes étaient enceintes de moins de 43 jours, et aucune n’avait passé d’échographie vaginale pour confirmer sa grossesse.

Les participantes ont été réparties au hasard dans un groupe de traitement précoce ou de traitement standard. Dans le premier groupe, 754 femmes ont obtenu les médicaments abortifs le jour même ou le lendemain de leur recrutement. Elles devaient prendre une dose de 200 mg de mifépristone par voie orale et, de 24 à 48 heures plus tard, 800 µg de misoprostol par voie orale, sublinguale ou vaginale. Une analgésie par voie orale leur était également offerte.

La réussite de l’interruption de grossesse dans ce groupe était déterminée par le taux d’hormone gona­dotrope chorionique (hCG) au jour 7. Sa concentration devait avoir baissé d’au moins 80 % depuis le moment de la prise de mifépristone.

Dans le groupe du traitement standard, les 750 par­ti­cipantes, elles, ont reçu les médicaments après la confir­mation par échographie, le jour 7, d’une grossesse intra-utérine. Si le résultat de l’imagerie n’était pas concluant, une autre échographie était effectuée une semaine plus tard.

Des résultats semblables

Dans les deux groupes, le même pourcen­tage de patientes a obtenu un avortement complet, critère d’évaluation principal de l’étude VEMA 95,2 % dans celui du traitement précoce et 95,3 % dans celui du traitement standard (graphique).

Les échecs du traitement consistaient soit en des gestations qui se poursuivaient, soit en des avortements incomplets nécessitant une intervention chirur­gicale. Leur proportion différait un peu entre les deux groupes.

Ainsi, dans le groupe de traitement précoce, 3 % des grossesses ont continué contre 0,1 % dans le groupe de traitement standard. En revanche, 4,5 % des femmes traitées de façon standard ont subi une intervention chirurgicale pour un avortement incomplet contre seulement 1,8 % chez celles qui ont eu une interruption précoce (graphique).

Les grossesses ectopiques ? Elles sont survenues chez 1,3 % des participantes ayant eu un avortement précoce et chez 0,8 % de celles qui ont eu un avortement médicamenteux standard (graphique).

Par ailleurs, que le traitement abortif soit précoce ou non, il est possible de déterminer rapidement la présence d’une grossesse extra-utérine, soulignent les chercheurs. « Pour établir ce diagnostic, il faut l’adhésion à un suivi comprenant un dosage de l’hCG, une échographie ou les deux », indiquent-ils dans leur article.

Le choix des patientes

Certains problèmes sérieux sont par ailleurs survenus chez certaines participantes dans la majorité des cas, des hospitalisations sans complications pour une grossesse ectopique ou pour un avortement incomplet. Ils se sont produits chez 1,6 % des femmes traitées précocement et chez 0,7 % de celles qui ont eu le traitement habituel.

Que choisiraient les participantes si elles devaient de nouveau avoir une interruption de grossesse ? Beaucoup voudraient le traitement précoce. Ainsi, parmi les femmes qui l’avaient eu, 92 % souhaitaient ravoir la même méthode que celle qui leur avait été assignée, ce qui n’était le cas que de 31 % des participantes traitées de façon standard.

Conclusion globale des chercheurs « L’avortement par médicament avant la confirmation d’une grossesse intra-utérine n’est pas inférieur au traitement standard, retardé, pour obtenir un avortement complet ».

Au Canada, le traitement donné rapidement peut être une question de préférence. Mais aux États-Unis, où certains états limitent l’accès à l’avortement après six semaines de grossesse, la question est particulièrement importante.

Précautions à prendre

MBelanger

L’avortement médicamenteux sans échographie est de plus en plus accepté, affirme le Dr Mathieu Bélanger, obstétricien-gynécologue au CHU de Québec, spécialisé en planification des naissances et en contraception complexe. « D’autres études avaient déjà montré l’innocuité de cette approche, mais elles étaient de moins bonne qualité. L’essai VEMA va probablement donner confiance aux médecins qui voudront y recourir », dit-il.

Les grandes gagnantes seront les patientes. « Une ou deux semaines de différence en cas de grossesse non désirée peuvent être extrêmement difficiles à gérer sur le plan psychologique, indique le clinicien. Comme beaucoup de médecins, je pense que la décision finale revient à la patiente. »

L’emploi de la pilule abortive sans échographie comporte néanmoins un faible risque de grossesse ectopique. « Dans le groupe de traitement précoce de l’étude, le taux correspondait à celui de la population générale, soit environ 1 %. Il n’est donc pas plus élevé que dans un autre groupe. »

Toutefois, comme dans l’étude, certaines précautions sont nécessaires, estime l’obstétricien-gynécologue. « Il faut bien cerner les facteurs de risque. Est-ce que la patiente est enceinte malgré un stérilet ? A-t-elle déjà eu une grossesse ectopique ? A-t-elle des douleurs abdominales, des saignements ou d’autres symptômes faisant penser à une grossesse extra-utérine ? »

Et ensuite, il y a le suivi. « Il faut s’assurer que la patiente comprend bien qu’elle devra avoir une prise de sang et qu’elle est prête à aller la faire faire. Je pense que c’est la clé. On doit choisir des personnes à faible risque pour que tout se passe bien », souligne le Dr Bélanger.

Une méthode déjà pratiquée

Au Québec, le recours à l’avortement médicamenteux varie beaucoup d’une région à l’autre. Peu pratiqué dans la Capitale-Nationale, il l’est davantage dans d’autres villes, comme Montréal, mais l’est surtout dans les régions éloignées. « Il y a certains endroits où, déjà, l’on n’utilise pas l’échographie. On emploie des protocoles “no touch”, sans contact physique avec la patiente. Tout se fait au téléphone », explique le spécialiste.

L’étude VEMA confirme l’innocuité de cette approche. « C’est important d’en parler pour qu’elle se répande. Le but en ce qui concerne l’avortement par médicament est d’offrir une méthode qui soit pratiquée partout en première ligne. »

Bibliographie

1. Brandell K, Jar-Allah T, Reynolds-Wright et coll. Randomized trial of very early medication abortion. N Engl J Med 2024 ; 391 (18) 1685-95. DOI : 10.1056/NEJMoa2401646.