L’inflation contribue grandement à l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs. C’est ce que soutient la croyance populaire. Un simple graphique récent de l’inflation permet de comprendre que depuis le début de la pandémie, nos chèques de paie rétrécissent comme peau de chagrin. Mais est-ce vraiment le cas ? Pour mieux comprendre, il serait important d’observer l’évolution des salaires au cours du dernier quinquennat. Nous pourrions être réellement surpris.
Pour mieux saisir l’actuelle période d’inflation, il est important d’ouvrir plus largement le cadre temporel. Le début de la pandémie a été particulièrement difficile pour l’économie canadienne. Ouvre-ferme, ouvre-ferme, les usines et les commerces ne sachant plus sur quel pied danser, la dynamique de prix s’était particulièrement ramollie au pays. En moyenne, en 2020, l’inflation s’était installée à 0,7 %, ce qui signifie le calme plat, et une période de répit sur le coût de la vie, que l’on oublie souvent.
Récession éclair s’il en est une, le repli pandémique est le plus important depuis la Grande dépression. Il ne dure cependant officiellement que deux mois, de mars à avril 2020. La reprise s’installe ensuite peu à peu, puis c’est au tour de la pression sur les prix de reprendre.
D’abord, sur les prix de l’énergie (une réalité qui rythme très souvent la reprise économique). L’invasion de l’Ukraine par les Russes en février 2022 repousse l’accalmie qui semblait vouloir s’installer en début d’année. Les prix de l’énergie contribueront positivement à l’inflation jusqu’au début 2023.
Vient ensuite la hausse du prix des biens hors énergie et aliments achetés en magasin. Avec la pandémie, les services, et particulièrement ceux offerts en proximité, ne sont plus disponibles. Restaurants, coiffures, dentisterie, massothérapie, etc. ne sont plus au goût du jour. Notre pouvoir d’achat s’exprime par l’acquisition de biens que nous commandons la plupart du temps en ligne. Une immense pression s’installe alors sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, que les éclosions de COVID-19 dans les principaux ports du monde ne feront qu’exacerber. Amazon se construira un petit pécule qui ne sera pas mis à mal par la mise en ligne du Panier bleu. Plus récemment, le rééquilibrage entre la dépense en biens et celle en services pousse les prix des services à la hausse, alors que la pression sur le prix des biens se tasse depuis le printemps.
Autre phénomène inattendu, les confinements répétés et les couvre-feux feront la vie dure aux petits 3 ½. L’espace de vie devient un enjeu, particulièrement pour les télétravailleurs avertis. Qui l’eût cru ? La demande pour l’immobilier explose en période pandémique. Les prix suivront et les pressions ne seront que décuplées sur le secteur du logement avec le retour en masse des populations immigrantes. Pénurie de main-d’œuvre oblige, l’année 2023 sera d’ailleurs une année record. La population canadienne n’avait pas augmenté à un tel rythme depuis les années 1950.
Pour finir, depuis près de deux ans maintenant, le prix des aliments vendus en épicerie progresse de façon hors norme. Le gouvernement fédéral aura eu beau mettre au banc les épiciers, cette envolée des prix est plutôt un mélange d’effets résiduels de la pandémie, de la guerre en Ukraine, du réchauffement climatique et de mauvaises récoltes qui aurait été en cause. Chose certaine, l’accumulation des chocs fait en sorte que l’inflation dépasse systématiquement la fourchette supérieure de la cible de 1 % à 3 % souhaitée par la Banque du Canada, et ce, depuis le printemps 2021. Et le retour vers la cible s’annonce chaotique.
La croyance populaire veut que l’inflation gruge le pouvoir d’achat du salaire. Même si l’argumentaire est vrai dans le court terme, il perd beaucoup de sa superbe lorsque l’on en gratte la surface. On oublie trop facilement que l’inflation est une des variables clés à la base du processus de négociation salariale. Le point de départ de toute négociation qui se respecte. L’inflation ne fait pas que gruger le pouvoir d’achat, elle conditionne aussi les salaires.
Ainsi, entre janvier 2019 et octobre 2023, la progression des prix s’élève à 18,7 % au Canada et à 20,4 % au Québec. Ce qui représente une hausse du coût de la vie importante si l’on considère qu’avec un taux d’inflation stabilisé autour de la cible souhaitée par la Banque du Canada, la progression de prix n’aurait dû être que de 9,9 %. Cependant, l’augmentation des salaires s’affiche à 21,1 % au Canada et à 22,7 % au Québec sur la même période (graphique 1). C’est plus de 2 points de pourcentage au-dessus de la hausse des prix dans les deux cas. Il apparaît donc que le pouvoir d’achat du salaire aura progressé au pays au cours du dernier quinquennat, malgré la plus importante poussée inflationniste des 30 dernières années.
Les deux graphiques suivants permettent encore mieux d’apprécier l’évolution du pouvoir d’achat du salaire depuis janvier 2019. Construit à partir de la croissance du salaire horaire moyen, le pouvoir d’achat est ajusté de façon à éliminer les effets de l’inflation sur le salaire. S’il est vrai que les années 2021 et 2022 ont montré de légers replis du pouvoir d’achat, ceux-ci ne sont pas suffisamment prononcés pour invalider l’importante progression obtenue en 2021. Et la progression récente tend à normaliser la situation économique des ménages. En somme, le pouvoir d’achat du salaire aura progressé annuellement en moyenne de 0,9 % au cours des cinq dernières années au Québec. Une progression similaire à ce qui est observé dans la province au cours des deux dernières décennies (graphique 2).
Un autre point important est à considérer : sachant que le pouvoir d’achat est calculé à partir de la progression du salaire horaire moyen, il ne prend donc pas en compte les changements fiscaux et l’aide gouvernementale ayant eu cours lors de la pandémie. Le bien-être des salariés canadiens et québécois est alors clairement sous-estimé. Depuis 2020, le fédéral a versé des sommes importantes sous la forme de Prestation canadienne d’urgence (PCU) et de Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), et ce, sans compter les efforts du gouvernement du Québec. Le gouvernement provincial a de son côté versé des sommes ponctuelles pour contrer la hausse du coût de la vie, bonifié son soutien aux aînés et allégé les impôts payables par l’ensemble des contribuables québécois.
S’il est vrai que l’évolution du pouvoir d’achat des travailleurs québécois leur a été favorable en « moyenne », l’analyse ne révèle rien sur la répartition du pouvoir d’achat autour de la moyenne. Certains d’entre nous auront en effet perdu du pouvoir d’achat, mais attention, ce n’est pas la majorité !
Que retenir de cette analyse ? D’abord, il est vrai que l’inflation nuit au pouvoir d’achat, mais les effets en sont temporaires et la rémunération a, malgré tout, suivi l’inflation au pays au cours du dernier quinquennat. Dans les faits, le pouvoir d’achat au Québecs s’est accru, et même davantage que celui des autres Canadiens. Finalement, même si le Québec est champion canadien de l’inflation, la volatilité ambiante des prix nuit à notre lecture. Notre pouvoir d’achat du salaire a augmenté cumulativement à peu près au même rythme qu’au cours des 20 dernières années. Une réelle surprise à en croire la croyance populaire. //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Société de services financiers Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.