Entrevue

Entrevue avec le président de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest
Mesures pour améliorer le bien-être des médecins

Élyanthe Nord | 1 octobre 2025

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Constatant la fatigue et le découragement des médecins sur le terrain, le Dr Sylvain Dufresne, président de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest, et son conseil d’administration ont mis sur pied différentes initiatives pour favoriser le bien-être de leurs membres.

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M.Q. – Comment vont les médecins de famille dans votre région ?

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S.D. Ils sont fatigués. Notre région est en grande pénurie d’effectifs. Les médecins se sont beaucoup investis durant la pandémie, et la fatigue qui en a découlé est encore présente. De plus, actuellement, à cause des tensions avec le gouvernement, on est dans une période d’incertitude. Quand on rencontre les médecins, il y en a qui s’expriment et montrent leur colère et leur inquiétude, mais il y en a beaucoup qui souffrent en silence. Ça, c’est préoccupant pour notre profession.

M.Q. – Quelles mesures a prises votre association pour aider les médecins ?

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S.D. Nous avons mis sur pied plusieurs initiatives. Par exemple, nous avons offert aux médecins de notre région deux ateliers sur le bien-être donnés par une ergothérapeute spécialisée dans ce domaine, Mme Karine Bellefleur. L’objectif était d’aider les médecins à penser à eux-mêmes et à leur bien-être. Nous avons demandé à tous les GMF de notre territoire de déléguer un ou deux médecins à cette formation. Les représentants de la plupart, soit de plus d’une quinzaine, étaient présents. Nous avons par ailleurs profité de ces deux rencontres pour encourager les médecins à réseauter au sein de l’association. Nous souhaitions qu’ils puissent partager leurs idées et présenter leurs projets et leurs initiatives. Il s’agissait de faire connaître les bons coups ainsi que les moins bons. Nous voulions éviter que les médecins dans les cliniques se sentent isolés. Souvent, les médecins communiquent entre eux, mais au sein même de leur clinique. Les bonnes idées percolent donc rarement dans les autres milieux. Dans un cabinet, on travaille dans une équipe, avec des infirmières et des médecins, mais je pense qu’il faut également travailler en équipe au sein de la région. C’est important, surtout dans un territoire comme le nôtre, où il y a une pénurie d’effectifs. Je pense qu’on doit se donner le droit non seulement de partager nos activités, mais aussi nos souffrances. Parce que beaucoup ressentent la lourdeur de la situation en silence.

M.Q. – Quelle autre activité avez-vous organisée ?

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S.D. Chaque année, l’association tient une journée au printemps où on rencontre les médecins dans un contexte social et de formation continue. Cette année, nous avons engagé un psychologue organisationnel, M. Dominique Morneau. Nous avons conçu ensemble une présentation pour les membres intitulée « Cultiver le bien-être ». L’objectif était de permettre aux participants de connaître les variables personnelles et organisationnelles liées au bien-être et de déterminer quels agissements favorisent le bien-être. Les messages que nous avons véhiculés étaient de rester dans le moment présent, d’éviter la rumination, de penser au bien-être ou à ce qui l’amènera. En ce qui concerne la communication, on suggérait d’améliorer, non pas la quantité des échanges, mais le nombre d’échanges réussis.

M.Q. – Bien des médecins ont de la difficulté à penser d’abord à eux-mêmes.

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S.D. Je crois qu’en général, comme médecin, il faut se déculpabiliser. On se sent coupables quand on pense à notre bien-être. On se dit : « Il faut que je travaille. Il faut que je dise oui. » Les médecins de famille acceptent toujours. Ce n’est pas facile de refuser. On nous demande : « Peux-tu voir un patient de plus ? » Les patients nous demandent : « Pouvez-vous prendre mon père comme patient ? » Certains nous lancent : « Ça n’a pas de bon sens que vous preniez des vacances. Vous devriez être toujours là ! » À un moment donné, il faut être capable de se dire : « Je suis en vacances » et ne pas se sentir coupable. Le sentiment de culpabilité amène un poids de plus sur nos épaules. Il faut parvenir à fixer nos limites. Je dirais que c’est ce qui est le plus difficile pour le médecin de famille, parce qu’il connaît ses patients et leurs souffrances.

M.Q. – Avez-vous essayé d’autres types d’activités pour favoriser le bien-être des médecins ?

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S.D. • Cette année, au cours de la journée printanière, nous avons également organisé une activité de consolidation d’équipe. C’est une jeune médecin qui l’a suggéré au conseil d’administration pour changer de la traditionnelle partie de golf. On a donc engagé une entreprise. Selon le scénario proposé, j’avais été kidnappé, et les participants devaient me retrouver. Ils étaient dans un parc, déguisés en joueurs de hockey ou en adeptes d’autres sports. Ils recevaient régulièrement de mes nouvelles et des photos montrant à quel point j’étais malmené. Ils devaient faire des activités pour parvenir à me retrouver. Certains participants, par exemple, ont eu à prononcer un discours dans la rue. Le but était d’apprendre à lâcher son fou. Ils se sont amusés. Je pense que ça fait du bien aussi d’être capable de relâcher la pression par l’exécution d’actes un peu délirants. L’année prochaine, nous allons refaire cette activité sous une autre forme

M.Q. – Votre association, par ailleurs, participe à un projet pilote pour aider les omnipraticiens à avoir un médecin de famille ?

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S.D. Notre nouveau site Internet, lancé cette année, comporte un service qui s’appelle le GAMF-MF : le guichet d’accès à un médecin de famille pour les médecins de famille. La clinicienne qui s’en occupe est une ancienne responsable du GAMF. Elle a en main les disponibilités des médecins qui sont prêts à suivre des collègues. Les membres peuvent donc télécharger le formulaire et le lui envoyer. Elle peut ainsi jumeler les médecins qui ont besoin d’un suivi et ceux qui en offrent. Le couplage peut se faire dans la même région ou dans une autre région. Avant de se lancer, on a par ailleurs fait un sondage auprès de nos membres. Plus de 50 % étaient prêts à suivre un autre médecin et de nombreux médecins désiraient, eux, être suivis.

M.Q. – Votre association a également pris des mesures pour favoriser le bien-être des gens au sein de ses propres rangs.

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S.D. On dit que charité bien ordonnée commence par soi-même. Si on veut favoriser le bien-être des médecins, on doit commencer par penser au nôtre, non seulement en tant que personne, mais aussi en tant qu’association. On avait de la difficulté à organiser des rencontres et à en faire plus parce que les gens étaient fatigués. La première chose que j’ai faite a été de changer nos statuts pour avoir plus de médecins pour représenter nos membres. On est ainsi passé d’un conseil d’administration de neuf à onze membres. Cette hausse nous a permis de mieux répartir le travail et les réunions. On a alors été capable d’intéresser plus de volontaires, en plus d’avoir une meilleure représentativité des différents groupes de médecins et des diverses sous-régions.

M.Q. – La valorisation des médecins de famille est importante pour vous.

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S.D. Comme association, on doit être fier de nos médecins. Depuis deux ans, à nos assemblées générales, où il y a aussi des activités de formation continue, on invite deux de nos membres à venir présenter leur domaine d’expertise. On les met ainsi en valeur. Avant la création de notre site Internet, on avait également un bulletin où l’on présentait un médecin de famille : un chef de service, un chef de département, etc. On expliquait quelle était sa vision et on décrivait ses réalisations pour créer un esprit de solidarité. On doit être fier de ce que l'on est.

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