Une étude du JAMA Pediatrics1 ne fait pas que montrer un lien entre le temps d’écran et les symptômes dépressifs. Elle indique aussi que l’effet s’explique en partie par un temps de sommeil réduit et une moins bonne organisation de la matière blanche au début de l’adolescence.
Le Dr João Paulo Lima Santos et ses collaborateurs de l’Université de Pittsburgh aux États-Unis ont analysé les données de l’étude de cohorte Adolescent Behavior Cognitive Development (ABCD), obtenues auprès d’enfants et de parents de 21 villes américaines. Ces données incluent notamment des questionnaires sur l’usage des écrans, la durée du sommeil et les symptômes dépressifs, ainsi que des examens d’imagerie cérébrale permettant d’évaluer l’intégrité de certaines voies de la matière blanche.

Des enfants sans antécédents
« C’est une étude convaincante, longitudinale et prospective », note Linda Pagani, professeure titulaire à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. Les auteurs de l’étude ont sélectionné 976 participants de l’étude ABCD. « Les enfants n’avaient aucun problème psychiatrique. C’est un échantillon qui a été épuré », explique la Pre Pagani.
Des questionnaires ont permis de connaître le temps d’écran quotidien des enfants au moment T1, soit avant l’adolescence (âge médian : 9,9 ans). Le temps d’écran moyen quotidien était de 3,2 heures et comprenait les utilisations pour se divertir et pour communiquer, mais excluait celles liées à l’école.
La durée du sommeil a été calculée à partir d’un questionnaire au temps T2, c’est-à-dire au début de l’adolescence (âge médian : 11,9 ans). Les symptômes dépressifs ont été évalués à partir du questionnaire « Child Behavior Checklist » au temps T1 et T2. Plus le pointage à ce test est élevé, plus les symptômes sont nombreux.
Un effet lié à la dose et des mécanismes cérébraux
Les chercheurs ont montré une relation proportionnelle entre le temps d’écran au temps T1 et les symptômes dépressifs au temps T2. Chaque heure additionnelle de temps d’écran prédit une augmentation de 0,12 point du score de dépression de la Child Behavior Checklist deux ans plus tard au temps T2 (IC à 95 %, p = 0,008).
« Les chercheurs ont ensuite fait des analyses poussées pour trouver les facteurs qui pourraient expliquer cette relation », résume Linda Pagani. L’étude visait aussi à vérifier si cette association était médiée par la durée du sommeil et l’organisation de la matière blanche qui a un effet sur l’attention et sur la façon dont on gère nos émotions, rappelle la chercheuse du CHU mère-enfant Sainte-Justine.
L’objectif était de déterminer si les modifications du sommeil pouvaient avoir un effet mesurable sur l’intégrité de certains faisceaux et si ces altérations pouvaient ensuite jouer un rôle médiateur dans la relation entre temps d’écran et symptômes dépressifs. À l’aide d’un examen d’imagerie de diffusion NODDI (neurite orientation dispersion and density imaging), les auteurs de l’étude ont pu caractériser l’organisation des fibres axonales. Parmi les trois faisceaux étudiés, la réduction du sommeil a surtout eu un effet sur le faisceau du cingulum.
Chaque heure de sommeil de moins était associée à une augmentation de 0,11 point de l’indice de dispersion de l’orientation (Orientation Dispersion Index, ODI) de ce faisceau (IC à 95 %, p = 0,001). Un indice plus élevé indique que les neurites sont plus dispersés et ont une moins bonne organisation.
L’étude révèle que deux facteurs intermédiaires, la réduction du temps de sommeil et la désorganisation du faisceau du cingulum, médient 36,4 % de l’association entre temps d’écran et symptômes dépressifs (IC à 95 %, de 18,2 % à 63,6 %). « C’est énorme, c’est plus du tiers de la relation », note Linda Pagani. Les chercheurs se sont concentrés sur le sommeil et la matière blanche, mais d’autres facteurs (matière grise, neurotransmetteurs, contexte psychosocial) pourraient également expliquer le lien entre écrans et dépression.
Les chercheurs ont aussi présenté des analyses exploratoires, qui montrent un effet lié à la dose, c’est-à-dire proportionnel au temps d’écran mentionné. Une heure d’écran par jour est associée à un sommeil plus court, deux heures à davantage de symptômes dépressifs et trois heures à une désorganisation accrue du faisceau du cingulum.
Quelques bémols
Il faut apporter certaines nuances aux données. Les résultats proviennent tout d’abord d’un échantillon comportant des sujets américains uniquement, généralement de familles bien nanties et scolarisées.
Les données sur le sommeil et sur le temps d’écran ont été obtenues, en plus, de questionnaires, et non de mesures directes, ce qui serait plus précis. Le type de contenu (ex. : une vidéo violente sur TikTok et un tutoriel de cuisine, deux choses différentes) n’a pas non plus été analysé, pas plus que le type de surveillance parentale, deux facteurs pourtant importants quand on veut étudier l’effet du temps d’écran.
Des effets cliniques et sociétaux
Malgré les quelques limites de l’étude, pour Linda Pagani, ces résultats doivent alerter non seulement les familles, mais aussi les médecins qui accompagnent les enfants et les adolescents. « Le sommeil est un comportement modifiable et un élément clé de l’effet du temps d’écran sur le cerveau et la dépression, ce qui souligne l’importance de stratégies favorisant un mode de vie équilibré afin d’atténuer l’effet négatif du temps d’écran sur le sommeil », rappellent d’ailleurs les auteurs de l’étude.
« On dispose d’un nouvel argument pour sensibiliser les parents : un excès de temps d’écran nuit au sommeil, perturbe le développement cérébral et accroît les risques de troubles dépressifs. Ce n’est pas seulement une question de discipline parentale ou d’hygiène de vie, mais une réelle question de santé publique », souligne Mme Pagani.
« Le sommeil est un comportement modifiable et un élément clé de l’effet du temps d’écran sur le cerveau et la dépression. »
– Dr João Paulo Lima Santos et coll.
La chercheuse rappelle d’ailleurs que le Lancet Psychiatry avait lancé l’alerte en 2024 sur une crise de santé mentale qui touche les enfants dans le monde. « Les jeunes vivent une véritable pandémie de problèmes de santé mentale », illustre Linda Pagani. Les écrans et les réseaux sociaux sont notamment ciblés pour expliquer cette crise.
« Les écrans, c’est un peu comme la fumée secondaire à une autre époque, poursuit-elle. Il a fallu des décennies avant que la société reconnaisse les dangers de la cigarette, puis qu’elle interdise de fumer dans les bars et les maisons. Il ne faut pas que les parents pensent que le temps d’écran est quelque chose d’anodin », ajoute la chercheuse. z
Bibliographie
1. Lima Santos JP, Soehner AM, Biernesser CL et coll. Role of sleep and white matter in the link between screen time and depression in childhood and early adolescence. JAMA Pediatrics 2025 ; 179 (9) : 1000-1008. DOI : 10.1001/jamapediatrics.2025.1718.