
L’exercice peut être aussi puissant qu’un médicament. Même en oncologie. Pour les patients qui ont terminé une chimiothérapie adjuvante après une résection d’un cancer du côlon, bouger est en effet aussi efficace que bien des traitements pour améliorer leur taux de survie.
Voilà l’une des conclusions d’une étude de 15 ans, CHALLENGE, menée auprès de 889 patients, et dont les résultats ont été publiés dans le New England Journal of Medicine1.
« Une étude prospective de phase 3 sur l’exercice physique, c’est plutôt rare », se réjouit le Dr Mustapha Tehfe, professeur titulaire de clinique à l’Université de Montréal et hémato-oncologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Et autre bonne nouvelle : les résultats sont probants. La survie sans récidive ou sans nouveau cancer après 7,9 ans est significativement plus élevée dans le groupe dont l’activité physique était encadrée que dans le groupe témoin (rapport de risques [hazard ratio] de 0,72, p = 0,02). « C’est énorme », résume le Dr Tehfe.
« Il y a eu des études par le passé, surtout des études d’observation sans répartition aléatoire, qui indiquaient une amélioration de la survie chez les patients qui faisaient du sport, en plus d’une meilleure qualité de vie, note Mustapha Tehfe. Mais là, c’est une étude bien conçue, avec des résultats concrets. »
889 patients, deux groupes
L’étude CHALLENGE, qui s’est déroulée entre 2009 et 2024, a rassemblé 889 patients à 55 endroits différents (principalement au Canada et en Australie). Leur âge médian était de 61 ans. Ils avaient subi une résection d’un cancer du côlon de stade 3 ou de stade 2 à risque élevé et avaient terminé un traitement de chimiothérapie de deux à six mois plus tôt.
« Les patients ayant un cancer du côlon de stade 2 à risque élevé peuvent rechuter, mais ne présentent pas certains critères clairs du stade 3, comme l’atteinte ganglionnaire », rappelle Mustapha Tehfe.
Les patients choisis devaient avoir la capacité d’effectuer au moins deux étapes d’un test d’effort sous-maximal (ou un test de marche de six minutes) sur tapis roulant, mais ils ne devaient pas faire de l’exercice au point de s’entraîner plus de 150 minutes par semaine à une intensité de moyenne à vigoureuse. « Tous les patients étaient quand même, à la base, en bonne forme physique », observe le Dr Tehfe.
Les chercheurs ont formé deux groupes de manière aléatoire : un premier inscrit à un programme d’entraînement de trois ans et un groupe témoin qui n’allait que recevoir de la documentation sur l’importance de l’activité physique et des saines habitudes de vie.
De l’activité physique encadrée et soutenue
Le groupe dont l’entraînement était encadré a bénéficié du soutien de professionnels pendant trois ans et d’un suivi serré pendant les six premiers mois, puis allégé par la suite.
L’objectif de l’entraînement était d’augmenter l’activité physique des participants de 10 MET-heures (Metabolic Equivalent of Task ou équivalent métabolique en français) par semaine pendant les six premiers mois par rapport à leur activité initiale. Cette hausse représente, par exemple, de 45 à 60 minutes de marche rapide, trois ou quatre fois par semaine. « Pour ceux qui étaient capables de courir, ça correspondait à une période de 25 à 30 minutes de jogging, trois ou quatre fois par semaine », précise le Dr Tehfe. Les patients étaient libres de choisir leur type d’activité ainsi que l’intensité et la fréquence à laquelle ils la pratiquaient.
Les sujets du premier groupe devaient ensuite maintenir ou augmenter ce niveau d’exercice pendant les trente mois suivants.
Les sujets du groupe témoin n’ont pas été encadrés de la sorte, mais comme le premier groupe, leur niveau d’entraînement et leur forme physique ont été mesurés tout au long des trois années du programme.
Résultat au bout de trois ans ? Les deux groupes ont amélioré leur niveau d’entraînement pendant les trois années de l’étude, mais le groupe expérimental a connu une hausse plus marquée, de 5,2 MET-heures par semaine à 7,4 MET-heures par semaine. Cette différence équivaut à une ou deux heures de marche rapide hebdomadaire de plus.
Un effet important
Quelles sont les retombées sur la santé ? Au bout de 7,9 ans (suivi médian), l’exercice structuré a réduit le risque combiné de récidive, de nouveau cancer ou de décès (rapport de risques : 0,72, p = 0,02). Au bout de cinq ans, 80,3 % des patients du volet exercice étaient en vie sans maladie contre 73,9 % de ceux du volet d’éducation à la santé, une différence de 6,4 %. L’écart à la baisse était particulièrement marqué pour les récidives hépatiques et les nouveaux cancers du sein, de la prostate et colorectaux.
L’effet de l’exercice est aussi apparu sur le taux de survie générale. Après huit ans, ce taux était de 90,3 % dans le groupe expérimental contre 83,2 % dans le groupe témoin, une différence significative de 7,1 %.
« L’ampleur du gain tiré de l’exercice après la chirurgie et la chimiothérapie adjuvante était comparable à celle de nombreux traitements médicamenteux standard actuellement approuvés », notent les auteurs de l’étude. Une vision que partage le Dr Tehfe : « Quand on traite les patients pour un cancer du poumon, la chimiothérapie adjuvante améliore le taux de survie d’environ 5 % », illustre-t-il.
Pour l’hémato-oncologue, l’étude donne un argument de taille pour encourager les patients à faire de l’exercice. « On peut leur dire : “Regardez, en plus des traitements que vous avez déjà reçus, l’entraînement peut significativement augmenter vos chances de guérison.” Et ça, c’est sans parler des autres bienfaits sur votre santé et votre qualité de vie », note-t-il.
Seule ombre au tableau : des effets musculosquelettiques indésirables ont été observés plus souvent dans le groupe exercice (chez 18,5 % des participants) que dans le groupe témoin (11,5 % des participants) de l’étude. « Mais ces effets sont des risques connus de l’exercice », rappellent les auteurs.
Des explications possibles
Comment l’activité physique a-t-elle pu augmenter le taux de survie ? L’étude ne s’est pas penchée précisément sur cette question. Néanmoins, il semblerait que l’amélioration de la survie n’était pas due à une perte de poids supérieure, puisque le poids et le tour de taille n’ont pas varié de façon significative entre les deux groupes.
Plusieurs autres mécanismes pourraient expliquer l’effet observé. « De nombreuses études d’observation ont indiqué que les personnes qui font plus de sport ont, par exemple, moins d’oxydants et un métabolisme plus actif. Leur système immunitaire est aussi plus efficace. Leurs globules blancs sont notamment plus facilement mobilisés, et leurs cellules effectrices antitumorales sont plus actives », précise le Dr Tehfe.
Sur le plan fonctionnel, le groupe « exercice » a d’ailleurs présenté de meilleurs résultats (consommation d’oxygène prédite, test de marche de six minutes) que le groupe témoin. Ces gains traduisent une meilleure condition physique.
Selon le spécialiste, l’effet de l’activité physique devrait pouvoir être observé sur les autres types de cancers également, et non seulement sur le cancer du côlon.
Un bémol, l’applicabilité
Le principal bémol de l’étude est son applicabilité, estime le Dr Tehfe. L’intensité de l’exercice demandée — une augmentation de 10 MET-heures par semaine — est élevée. « Quel pourcentage des patients sera capable de faire autant d’exercice ? », se demande-t-il.
D’autant plus que, dans l’étude, les participants venaient de terminer leur traitement de chimiothérapie. En clinique, tous les patients ne sont donc pas en mesure de fournir un tel effort. Cet élément limite en partie la généralisation de l’étude à des personnes en moins bonne forme que les sujets sélectionnés.
Le fait de suivre périodiquement les patients pour mesurer leur forme physique pourrait aussi les avoir encouragés à s’entraîner plus souvent, même ceux du groupe témoin.
Par ailleurs, les établissements ne sont pas outillés pour offrir à tous les patients le même encadrement que celui de l’étude. Une version allégée pourrait réduire l’adhésion à un programme d’exercice et donc son effet.
Néanmoins, les conclusions de l’étude sont claires. « Fait de façon progressive et régulière, l’exercice améliore la survie », conclut le Dr Mustapha Tehfe.
Bibliographie
1. Courneya K, Vardy J, O’Callaghan C et coll. Structured exercise after aduvant chemotherapy for colon cancer. N Engl J Med 2025 ; 393 (1) : 13-25. DOI : 10.1056/NEJMoa2502760.