Les lignes directrices sur le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont claires : les enfants d’âge préscolaire atteints d’un TDAH devraient d’abord être traités par des interventions non pharmacologiques. Or, une étude effectuée dans huit grands réseaux pédiatriques américains révèle que 68 % des enfants de 4 et de 5 ans diagnostiqués dans ces centres ont eu une pharmacothérapie avant 7 ans. Pire, chez 42 %, un médicament a été prescrit au cours des 30 jours suivant le diagnostic1.
Les auteurs de l’étude, le Dr Yair Bannett, de l’Université de Standford, et ses collaborateurs, sont inquiets. « Ainsi, plus du tiers des patients n’ont pas eu suffisamment de temps pour suivre un traitement comportemental fondé sur des données probantes avant de commencer un traitement pharmacologique. »
L’étude, publiée dans le JAMA Network Open, a été réalisée rétrospectivement à partir des dossiers électroniques de 712 478 enfants de 3 à 5 ans suivis dans les cliniques pédiatriques affiliées à des centres universitaires de huit états (Colorado, Pennsylvanie, Ohio, Illinois, Delaware, Floride, Californie et Texas). Parmi les petits patients, 9708 ont eu un diagnostic de TDAH à 4 ou à 5 ans, soit 1,4 %.
Les pratiques des pédiatres différaient beaucoup d’un réseau à l’autre. Ainsi, le taux de diagnostic du TDAH chez ces jeunes enfants allait de 0,5 % à 3 %. Et le pourcentage de patients atteints qui recevaient une prescription pour un traitement pharmacologique au cours du mois suivant variait de 26 % à 49 %. En tout, selon les centres, entre 44 % et 74 % des patients diagnostiqués ont eu une prescription de médicament avant l’âge de 7 ans.
Outre les sujets atteints qui n’avaient pas besoin de traitement, peu d’enfants ont donc eu une pharmacothérapie plus de six mois après le diagnostic : seulement 14 % (de 7 % à 19 % selon les réseaux). Ce laps de temps, indiquent les chercheurs, est « le délai minimal recommandé dans les lignes directrices de 2011 pour suivre un traitement comportemental de première intention ».
Que se passe-t-il ? Comment expliquer ces résultats ? Au Canada, les cliniciens ont-ils les mêmes habitudes de prescription ?
Une étude rétrospective
« Les résultats de l’étude sont un peu surprenants. Les lignes directrices recommandent toujours, avant de prescrire un médicament pour le TDAH à des enfants d’âge préscolaire, de porter une attention particulière aux facteurs de stress environnementaux et de vérifier la présence d’autres troubles neurodéveloppementaux qui peuvent contribuer aux symptômes du TDAH. Le traitement devrait commencer par un enseignement et un soutien adéquats aux parents, suivis de conseils sur la gestion du comportement », préconise la Dre Stacey Bélanger, pédiatre spécialisée en neurodéveloppement au CHU Sainte-Justine.
Évidemment, l’étude du Dr Bannett et de ses collègues n’est pas la première à sembler indiquer que les lignes directrices ne sont pas suivies par tous les médecins. Mais d’autres explications sont possibles.
« Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective, souligne la Dre Bélanger. La méthodologie ne permet donc pas de disposer de toutes les informations nécessaires pour expliquer les résultats. » Le diagnostic de TDAH, par exemple, était défini par le code de diagnostic utilisé par le médecin traitant. Y a-t-il eu des erreurs de classification ? « Le taux d’enfants atteints était très élevé dans cette étude », note la spécialiste. Certains éléments potentiellement liés au début précoce du traitement n’étaient pas non plus indiqués. « On n’a pas d’information sur la gravité des symptômes. »
L’histoire derrière chaque cas
On ignore par ailleurs l’histoire derrière chaque prescription, le raisonnement derrière chaque décision. Il est ainsi possible que, dans bien des cas, les médecins aient respecté les lignes directrices. Les recommandations prévoient le recours à un médicament, de préférence le méthylphénidate, chez les enfants de 4 et de 5 ans en cas de dysfonctionnement grave ou d’échec du traitement comportemental ou des interventions non pharmacologiques. « Certains enfants pouvaient déjà avoir été suivis par un psychoéducateur, un psychologue ou un travailleur social et leurs parents, avoir déjà eu une formation avant la consultation médicale », mentionne la pédiatre. La rencontre avec le médecin aurait alors été la dernière étape du processus. La prescription hâtive d’une molécule pouvait ainsi être justifiée.
Plusieurs cliniciens ont également pu estimer le dysfonctionnement du petit patient trop important pour attendre. « Parfois, l’enfant n’est vraiment pas bien. Il ne fonctionne nulle part. Les parents sont dépassés. »
La difficulté d’obtenir des services pour le petit patient a aussi pu jouer. « L’enfant pouvait être souffrant. Les parents pouvaient l’être également à cause de son dysfonctionnement. La famille n’avait pas accès à des services. À ce moment, le médecin a pu juger nécessaire, dans le cadre d’un plan de traitement qui incluait des approches non pharmacologiques, de commencer une pharmacothérapie pour aider l’enfant. On ne sait pas dans quelles conditions les médicaments ont été prescrits », explique la Dre Bélanger, également professeure à l’Université de Montréal.
Races et groupes ethniques
Les données de l’étude restent néanmoins troublantes. « Il faut essayer de déterminer les facteurs liés à un traitement pharmacologique précoce », indique la Dre Bélanger, également membre de différents comités à la Société canadienne de pédiatrie.
Les chercheurs ont étudié plusieurs éléments. L’un de ceux qui ressortent : la race et l’origine ethnique. Les enfants qui n’étaient pas blancs avaient une moins grande probabilité de recevoir rapidement une prescription de médicaments. Les patients asiatiques présentaient un taux inférieur de 50 % à celui des petits Blancs, ceux d’origine hispanique, de 25 % et les enfants noirs, de 12 %.
« La littérature a montré que les groupes raciaux et ethniques minoritaires sont moins susceptibles que les patients blancs de commencer un traitement médicamenteux pour le TDAH en raison d’attitudes négatives à l’égard de cette approche. Cependant, les parents de ces groupes sont également moins portés à s’engager dans une formation sur le comportement », notent les auteurs.
Ce volet mérite d’être approfondi. « S’il y a des disparités dans la prise en charge selon la race et le groupe ethnique, il serait important d’en explorer les raisons », estime la pédiatre.
Une responsabilité partagée
Que faire devant ces chiffres dérangeants sur la prescription précoce ? « Je dirais que, oui, on peut faire une pause et se demander ce qui se passe. Mais en même temps, on ne dispose pas de toutes les informations nécessaires dans cette étude. Peut-être s’agissait-il vraiment d’une population d’enfants parvenus à l’étape de la prise de médicament », indique la Dre Bélanger.
Y a-t-il des mesures à prendre ? « Je pense qu’une chose que l’on peut retenir, c’est que, comme médecins, nous devons suivre les lignes directrices sur le TDAH de la Société canadienne de pédiatrie. » La clinicienne et ses collègues donnent d’ailleurs de nombreuses formations sur ce sujet.
Les barrières aux traitements non pharmacologiques doivent par ailleurs être réduites. « Les parents nous disent parfois : “Combien de temps vais-je encore attendre ? J’ai déjà laissé des messages au CLSC.” C’est vraiment le rôle de tous, fonctionnaires du gouvernement et médecins, de s’assurer que les enfants et leur famille ont accès aux soins dont ils ont besoin. »
Les organismes médicaux pourraient aussi se pencher sur la question de la prescription rapide de médicaments chez les jeunes enfants. « Peut-être que la Société canadienne de pédiatrie, par l’intermédiaire du Programme canadien de surveillance pédiatrique, pourrait faire une étude sur les pratiques des pédiatres au Canada concernant l’approche de soins offerts aux enfants d’âge préscolaire atteints d’un TDAH. Les données du Dr Bannett soulèvent quand même des questions. Elles nous disent qu’il y a peut-être du travail à faire de notre côté. »
D’autres études restent par ailleurs nécessaires pour approfondir ces résultats. « Je pense qu’il faut mieux comprendre comment les diagnostics sont posés, comment la décision de traiter précocement les enfants est prise et sur quels facteurs elle repose. »
Bibliographie
1. Bannett Y, Luo I, Azuero-Dajud R et coll. ADHD diagnosis and timing of medication initiation among children aged 3 to 5 years. JAMA Netw Open 2025 ; 8 (8) : e2529610. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2025.29610.