
M.Q. – Y a-t-il des projets intéressants en médecine familiale dans votre région ? |
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S.D. • Au cours des dernières années, bon nombre de médecins ont pris leur retraite. On compte donc davantage de patients orphelins. La conséquence, c’est que nous voyons de plus en plus de cas lourds lors des rendez-vous liés au Guichet d’accès à la première ligne (GAP). Souvent, ce sont des patients qui ont une maladie chronique mal maîtrisée parce qu’ils sont sans suivi médical depuis deux ou trois ans. L’équipe locale du GAP travaille donc à un projet visant à offrir à ces personnes un suivi, mais uniquement pour leurs maladies chroniques. L’objectif est de créer des trajectoires de soins pour stabiliser l’état de ces patients orphelins et leur éviter des complications et des hospitalisations. |
M.Q. – Comment cela fonctionnerait-il ? Qui verrait ces patients ? |
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S.D. • Nous en sommes encore au début, mais il s’agirait d’une collaboration interprofessionnelle entre infirmières, pharmaciens et médecins répondants. Actuellement, chacun de nos quatre réseaux locaux de services (RLS) dispose d’une infirmière qui se consacre au suivi des maladies chroniques. Mais pour répondre aux besoins des patients orphelins, il en faudrait une deuxième par RLS. De plus, nous souhaitons obtenir l’aide des pharmaciens de la collectivité pour effectuer des dépistages. Ces derniers pourraient aussi aviser les infirmières lorsqu’ils constatent que la santé des patients risque de se détériorer. Par exemple, une personne atteinte d’une bronchopneumopathie chronique obstructive qui reçoit plus de deux ordonnances d’antibiotiques pendant l’hiver pourrait avoir besoin d’être évalué en inhalothérapie afin que son traitement soit ajusté. De même, un patient dont le diabète est mal évaluée pourra être dirigé vers l’équipe interdisciplinaire. |
M.Q. – Ce projet pourrait-il contribuer à diminuer la lourdeur de la pratique ? |
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S.D. • Si on stabilise les maladies chroniques des patients orphelins, les médecins pourraient en effet espérer une diminution de la lourdeur de la prise en charge de cette clientèle. Actuellement, quand un patient s’adresse au GAP pour un problème de santé ponctuel et qu’on découvre que la dernière valeur de son hémoglobine glyquée se chiffre à 10,4 et remonte à deux ans, on n’a pas les ressources pour le traiter et prévenir une aggravation de son état. J’ajouterais par ailleurs qu’offrir un suivi aux patients orphelins atteints d’une maladie chronique serait rentable pour le système de santé, en particulier dans le contexte actuel de restrictions budgétaires. Quand une personne a une maladie chronique, il est moins coûteux de la traiter rapidement que de l’hospitaliser deux ou trois fois par année parce que sa maladie n’est pas maîtrisée. |
M.Q. – Sur un tout autre sujet, quel est l’état d’esprit des médecins par rapport au projet de loi n° 106 ? |
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S.D. • Leur moral est à plat. Se faire imposer des conditions de travail qui auraient pu être négociées suscite beaucoup de démotivation. Il aurait été tellement plus productif que le gouvernement collabore avec nous pour que l’on trouve ensemble des façons d’atteindre l’objectif que nous partageons tous, soit d’améliorer l’accès aux soins de première ligne. Je tiens aussi à souligner que rares sont les médecins qui travaillent à temps partiel. S’ils le font, ils ont de bonnes raisons. Nos médecins travaillent fort pour pallier le manque d’effectifs et maintenir à bout de bras nos centres de soins. Je n’en connais pas qui passent leur temps à jouer au golf. Cela dit, il faut tenir compte du nombre d’heures travaillées et pas seulement des jours. Un médecin qui travaille trois journées par semaine à raison de 12 heures par jour n’est pas à temps partiel. |
M.Q. – Qu’est-ce qui irrite le plus vos membres ? |
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S.D. • En région, la pénurie ne se limite pas aux omnipraticiens, mais s’étend à tous les professionnels de la santé. Nos membres ont l’impression qu’ils vont encore être tenus responsables de l’accès aux soins sans obtenir les conditions nécessaires pour atteindre les objectifs du gouvernement. Déjà, nous n’avons pas assez d’infirmières et d’autres professionnels dans nos GMF pour répondre à la demande, et il semble que nous n’en aurons pas davantage avec le projet de loi n° 106. Les médecins sont inquiets. Ils craignent d’avoir à prendre en charge un plus grand nombre de patients sans disposer des ressources financières et professionnelles nécessaires. Mais ce qui démotive le plus les troupes, c’est de constater que seuls les médecins sont tenus responsables de la situation, alors que le ministre de la Santé et des Services sociaux devrait l’être aussi. |
M.Q. – Observez-vous déjà des conséquences ? |
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S.D. • Nous avons mené un sondage auprès de nos membres pour connaître leurs réactions au projet de loi n° 106. Sans surprise, environ 10 % d’entre eux envisagent de prendre leur retraite plus tôt que prévu. Le plus troublant cependant, c’est de constater que de jeunes médecins se disent prêts à quitter la profession pour se réorienter vers un autre domaine. Une médecin, notamment, a mentionné que si elle a été capable de réussir ses études en médecine, elle peut sûrement en réussir d’autres dans un domaine différent et changer de travail. Je trouve cela vraiment inquiétant pour l’avenir de la médecine familiale. |
M.Q. – Dans un autre ordre d’idées, avez-vous des solutions pour améliorer l’accès aux soins ? |
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S.D. • Un problème récurrent en région, c’est la difficulté à pourvoir les postes vacants. Dans trois de nos urgences, par exemple, la moitié des effectifs nécessaires manquent à l’appel. Même si nous avons recours à des médecins dépanneurs, nos cliniciens reçoivent constamment des demandes, souvent à la dernière minute, pour fournir plus de soins hospitaliers. Les besoins en prise en charge sont aussi de plus en plus criants. Et cette année, une seule des 14 places de notre Plan régional d’effectifs médicaux (PREM) a été pourvue. Il faut donc améliorer l’attractivité de notre région. Auparavant, il y avait des mesures incitatives. Malheureusement, ces dernières ont fondu au fil du temps. Il faudrait les bonifier. Par ailleurs, nous constatons une tendance inquiétante. Certains des médecins qui n’obtiennent pas un avis de conformité dans la région de leur choix choisissent de faire temporairement du dépannage plutôt que de s’établir dans un territoire plus éloigné. Nous espérons que le nouveau processus d’attribution des PREM favorisera la venue de nouveaux facturants dans les régions comme la nôtre où le manque de médecins est important. |
M.Q. – Qu’en est-il de vos places en résidence ? |
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S.D. • Encore là, nous observons un nouveau phénomène : la difficulté de pourvoir nos postes de résidents dans les GMF-U. C’est préoccupant, car la résidence est notre principale source de recrutement. Quand des jeunes font leur résidence dans notre région, ils peuvent tisser des liens dans la collectivité et certains décident de rester. Pourrait-on instaurer des mesures incitatives pour les futurs médecins qui quittent les grands centres pour les régions ? Je pense qu’il y a là matière à réflexion. |
M.Q. – Pour terminer, y a-t-il un autre problème qui vous préoccupe ? |
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S.D. • Les programmes GMF changent d’année en année et cela crée beaucoup d’incertitude chez nos membres, tout comme le projet de loi n° 106 d’ailleurs. Les médecins se demandent ce qui les attend concernant le prochain cadre GMF, quelles obligations vont-ils encore se voir imposer. On aimerait plus de stabilité. De plus, il serait très intéressant que le cadre GMF puisse être négocié avec la FMOQ au lieu d’être défini uniquement par la partie ministérielle. |