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Préadolescents
Réseaux sociaux et symptômes dépressifs

Élyanthe Nord | 1 août 2025

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Bien des préadolescents utilisent les réseaux sociaux. Sont-ils trop jeunes ? S’exposent-ils à des risques ? Une nouvelle étude publiée dans le JAMA Network Open montre que, chez les enfants de 9 à 10 ans, l’augmentation de l’utilisation des médias sociaux est associée à une hausse des symptômes dépressifs l’année suivante1.

Le Dr Jason Nagata, de l’Université de Californie, et ses collègues ont analysé les données prospectives de 11 876 enfants de l’étude ABCD (Adolescent Brain Cognitive Development). Les jeunes, initialement âgés de 9 à 10 ans, ont été évalués au début de l’étude, puis aux années 1, 2 et 3. Les chercheurs voulaient explorer, dans une perspective longitudinale, les liens entre réseaux sociaux et symptômes dépressifs à cette phase du développement.

L’équipe a constaté que les préadolescents dont l’utilisation des médias sociaux s’accroissait à l’année 1 présentaient plus de symptômes dépressifs à l’année 2. De la même façon, une hausse de l’emploi des réseaux sociaux à l’année 2 était elle aussi associée à davantage de symptômes dépressifs à l’année 3.

« Ces résultats portent à croire que le fait de passer plus de temps sur les réseaux sociaux au début de l’adolescence peut contribuer à une augmentation des symptômes dépressifs avec le temps », concluent le Dr Nagata et ses collaborateurs.

En revanche, il n’y avait pas de lien entre l’utilisation initiale des médias sociaux et les symptômes dépressifs à l’année 1. Ni entre ces symptômes au début de l’étude et l’emploi des réseaux sociaux au bout d’un an.

« Ces résultats fournissent une première preuve d'une séquence temporelle et pourraient indiquer que l'utilisation des médias sociaux est un facteur susceptible de contribuer aux symptômes dépressifs des adolescents plutôt que d’être une simple corrélation ou une conséquence de ces symptômes », affirment les auteurs dans leur article.

Observer l’enfant

L’étude a cependant une faiblesse : les symptômes dépressifs étaient indiqués par les parents. Chaque année, ces derniers devaient remplir un questionnaire validé. Mais détecter des symptômes dépressifs chez un préadolescent n’est pas si facile, explique la Dre Lila Amirali, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent au CHU Sainte-Justine.

« Ce qui est compliqué, c’est que même quand un enfant souffre d'une dépression majeure, il conserve une réactivité de l'affect, contrairement aux adultes, mentionne la spécialiste. Une femme présentant une dépression post-partum, par exemple, a un affect peu réactif. Et son absence de réaction est continuellement présente. » Les enfants déprimés ou dépressifs, à l’opposé, peuvent sembler être dans un état normal quand ils sont avec leurs meilleurs amis, pendant leur activité favorite ou quand un événement soulève leur enthousiasme. « Ils peuvent réagir aux activités agréables. Mais ces réactions sont temporaires. Aux autres moments, ils restent isolés dans leur coin. Leurs symptômes dépressifs ne sont pas faciles à repérer. »

L’idéal aurait été d’avoir les réponses des enfants. Néanmoins, les observations des parents étaient probablement la meilleure solution dans une telle étude, estime la psychiatre, également présidente de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Dans la vie quotidienne, tant les parents que les enseignants peuvent aussi avoir de la difficulté à voir la souffrance de l’enfant. Ils peuvent ne pas s’apercevoir que les réseaux sociaux le perturbent. Surtout s’ils passent peu de temps avec lui. « Il est important d'observer l’enfant, de voir si la réactivité de son affect est touchée. Est-il toujours capable d'éprouver du plaisir et, surtout, d’avoir des liens avec ses parents ? Il faut surveiller comment le jeune réagit, particulièrement dans ce groupe d'âge. »

L’étude se penchait par ailleurs uniquement sur les symptômes dépressifs et non sur le trouble de dépression majeure, dont le taux est différent, précise la Dre Amirali. La distinction est importante. « La dépression majeure est définie par la durée et la gravité des symptômes ainsi que par un bris du fonctionnement. Quelques symptômes dépressifs ne sont pas suffisants pour donner lieu à ce diagnostic et ne perturbent pas autant le fonctionnement. »

La consolidation de la personnalité

L’âge des enfants de l’étude, de 9 à 12 ans, correspond à une phase clé du développement. « C'est la période juste avant l’adolescence et la consolidation de la personnalité. Celle où les jeunes se séparent de leurs parents. Mais pour y arriver, ils doivent sentir leur compétence, avoir des réussites et développer leur sens de soi-même », explique la professeure de l’Université de Montréal et de l’Université McGill.

À cette étape de la vie, l’effet des médias sociaux peut être particulièrement marqué. Surtout chez les plus fragiles. « Les réseaux sociaux peuvent accentuer leurs prédispositions à avoir des pensées négatives qui, à leur tour, influencent le développement du sens de soi et la formation de la personnalité », affirme la Dre Amirali.

Les réseaux sociaux peuvent d’ailleurs intervenir dans la triade de Beck. Ce modèle décrit trois types de pensées négatives dans la dépression : celles au sujet de soi-même, du monde et de l'avenir. « Si j’estime que je ne suis pas efficace, que je n'ai pas de valeur, cette pensée devient une croyance de base qui perturbe ma perception du monde autour de moi. Je ne peux donc pas influencer mon environnement parce que je ne suis pas compétent. Cette impression influe sur ma vision de l’avenir : je n'ai pas grand-chose à espérer de l’avenir », résume la spécialiste.

Les médias sociaux peuvent aggraver la situation. « Si je vois, par exemple dans Instagram ou dans TikTok, des images de personnes qui s’amusent, alors que moi, je suis seule dans ma chambre, que je ne parle à personne, que je suis en conflit, cela peut m’affecter d’une façon exponentielle. »

Comment contrer ces influences ? Il faut accroître les expériences positives, comme les activités sportives et les interactions sociales bienfaisantes, préconise la Dre Amirali. « Ces expériences peuvent améliorer le sentiment d'efficacité et l’estime de soi des jeunes : « Je suis bon. Je travaille fort. Je réussis dans quelque chose. » Elles viennent compenser les expériences négatives. »

La persécution

Les répercussions néfastes des réseaux sociaux peuvent aussi être immédiates. La Dre Amirali voit fréquemment des cas bouleversants à l’urgence. Des enfants ayant des symptômes dépressifs, anxieux, envahis par des pensées sombres. « Ils sont persécutés dans les médias sociaux par d'autres enfants. Ils nous montrent durant la consultation ce qu’on écrit sur eux. »

Il est important que les parents prennent conscience de ces drames. « Il faut regarder si l'enfant devient irritable, triste ou fâché à cause d’un incident particulier. On ne doit pas seulement surveiller le temps d’utilisation des médias sociaux, mais aussi la qualité de leur emploi. »

Ce type de phénomène transparaissait un peu dans l’étude. Ainsi, les jeunes qui indiquaient avoir davantage recouru aux réseaux sociaux à l’année 3 tendaient à avoir plus de symptômes dépressifs durant cette période.

La capacité d’adaptation des jeunes

Tous les jeunes ne sont pas affectés par les réseaux sociaux. Certains, toutefois, sont plus vulnérables : ils peuvent présenter une fragilité liée à leur personnalité ou à leur estime de soi, être dans une phase plus critique de leur développement à cause de leur âge ou encore être touchés par des facteurs socio-contextuels, tels que des conflits familiaux. Leur réactivité cognitive et émotive peut ainsi être accrue.

Cette situation peut faire de l’adolescence une période de vulnérabilité durant laquelle l'exposition aux réseaux sociaux est susceptible d’avoir des conséquences durables sur la santé mentale, indiquent le Dr Nagata et ses collaborateurs à partir de certaines données. Même si leur propre étude n’établit pas de lien de causalité direct, elle montre que l’augmentation de l’utilisation des médias sociaux à la préadolescence peut être associée à de plus grands symptômes dépressifs l’année suivante.

Les médecins peuvent-ils intervenir ? Les chercheurs le croient. « Les cliniciens devraient envisager de se renseigner sur l’utilisation des médias sociaux des enfants et adolescents, en particulier s’ils ont moins que l’âge limite recommandé (13 ans sur la plupart des plateformes de médias sociaux), et de fournir des conseils préventifs au besoin », mentionnent-ils.

Les jeunes sont d’ailleurs capables de s’adapter. Lorsqu'ils prennent conscience des répercussions des réseaux sociaux sur leur humeur, ils arrivent à changer leur mode d’utilisation, ont montré des études menées auprès d’adolescents, en particulier de jeunes présentant des symptômes dépressifs. Ils délaissent une utilisation inadaptée pour un mode plus positif. « Avec le temps, beaucoup ont ajusté leur comportement sur les réseaux sociaux en réduisant les publications occasionnant du stress, en évitant les contenus provocateurs et en utilisant ces médias dans le but express de se connecter à des amis qui les soutiennent », indiquent les chercheurs.

Bibliographie

1. Nagata J, Otmar C, Shim J, et coll. Social media use and depressive symptoms during early adolescence. JAMA Netw Open. 2025 ; 8 (5) : e2511704. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2025.11704.

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