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Urgence
Les systèmes d’optimisation par IA sont-ils utiles ?

Élyanthe Nord | 1 août 2025

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De nombreuses études présentent des modèles fondés sur l’intelligence artificielle pour optimiser différents aspects de la pratique. Beaucoup utilisent des données rétrospectives, mais seuls les résultats prospectifs permettent une évaluation adéquate.

L’atmosphère à l’urgence peut changer rapidement. Tout à coup, un patient relativement calme devient agité, menaçant, violent. Son agressivité est telle qu’il faut lui administrer un sédatif ou recourir à la contention. Comment prévenir une telle situation ?

Des chercheurs, le Dr Ambrose Wong, de l’Université Yale au Connecticut, et ses collaborateurs ont créé, en utilisant l’intelligence artificielle (IA), un système pour prédire quelles personnes pourraient devenir agitées à l’urgence. Ils ont mis au point, entraîné et validé leur modèle à partir de plus de 3 millions de visites d’adultes dans neuf hôpitaux urbains ou de banlieue du nord-est des États-Unis.

Grâce aux dossiers électroniques, les chercheurs ont fourni à l’IA notamment le motif de consultation des patients, leurs signes vitaux, leurs antécédents médicaux, leur mode d’arrivée à l’hôpital, leur utilisation antérieure des services de santé et leurs informations démographiques. L’âge moyen des sujets était de 50 ans, 55 % étaient des femmes, 57 % étaient blancs, 14 %, noirs et 21 %, d’origine hispanique.

Les chercheurs avaient défini l’agitation chez un patient par la nécessité de lui administrer un sédatif chimique par voie intramusculaire ou de recourir à une contention pour mettre fin à un comportement qui menaçait sa propre sécurité physique, celle du personnel ou d’autres gens.

Les principaux facteurs de risque

Le modèle d’intelligence artificielle créé a sélectionné 50 prédicteurs d’apparition de l’agitation. Les facteurs de risque qui arrivent en tête sont :

  • le nombre de consultations antérieures à l’urgence ;
  • les signes vitaux initiaux ; Le rythme cardiaque à l’arrivée et le rythme respiratoire constituent des indicateurs importants.
  • les antécédents médicaux ; Les problèmes mentaux, de consommation de substances et les états psychotiques sont particulièrement liés à l’agitation.
  • le motif principal de consultation ; Les risques d’agitation augmentent lorsque la visite concerne des problèmes psychiatriques, neurologiques ou de toxicomanie, mais diminuent dans le cas des troubles cardiovasculaires, musculosquelettiques, respiratoires ou gastro-intestinaux.
  • le nombre de contentions ou de sédations antérieures

Grâce à ces facteurs, le modèle a déterminé que 0,9 % des patients présentaient un risque de devenir agités. Ses prédictions se sont révélées d’une grande précision.

« En repérant mieux les patients ayant un risque élevé d’agitation, les cliniciens des urgences peuvent davantage adapter les interventions pour prévenir l’agitation et réduire ainsi potentiellement le recours à la sédation ou à la contention physique ainsi que les risques pour les patients et le personnel », estiment le Dr Wong et son équipe, qui publient leurs résultats dans le JAMA Network Open1.

Écart entre l’étude et la réalité

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Ces données sont intéressantes, mais comment s’en sert-on ? Il faut disposer du logiciel conçu par les chercheurs. « D’après ce que je comprends, quand le patient entre à l’urgence, l’IA calcule un score en employant les 50 données et envoie une alerte si la personne risque de devenir agitée », explique le Dr Gregory Clark, urgentologue au Centre universitaire de santé McGill, qui a lui-même fait une étude reposant sur l’IA.

Le système est-il vraiment applicable dans le quotidien d’une urgence ? De plus en plus d’études proposent des systèmes d’intelligence artificielle pour optimiser la pratique de la médecine, mais peu évaluent leur utilisation. « On ignore si le système du Dr Wong peut facilement être mis en œuvre. Les neuf hôpitaux de l’étude n’ont fourni que des données rétrospectives. Le système n’a pas été testé de manière prospective », souligne le Dr Clark.

Cette lacune engendre beaucoup de questions. Comment un hôpital va-t-il employer le logiciel ? Ce système va-t-il aisément s’insérer dans le flux du travail clinique ? Quelles seront ses conséquences pour les médecins dans les urgences ? Le centre dispose-t-il de l’infrastructure informatique nécessaire ? « Parce que ça prend beaucoup de mémoire », mentionne l’urgentologue.

En anglais, on parle d’AI chasm, explique le Dr Clark. « On a ainsi toutes ces études qui créent des outils et en testent l’utilisation à partir de données rétrospectives, mais ne franchissent pas le gouffre qui sépare la conception du système de sa mise en œuvre. C’est cependant cette phase qui est importante. »

Des travaux commencent toutefois à se pencher sur cet aspect. C’est le cas de l’étude ACCEPT-AI, au Royaume-Uni2. « Il s’agit d’une étude prospective qui porte sur un système d’apprentissage automatique indiquant quels résultats de tomodensitométrie cérébrale devraient être lus en priorité en fonction des saignements détectés par l’IA. L’étude est très intéressante, car elle évalue non seulement l’outil d’IA, mais aussi son utilisation. »

Le projet comprend ainsi trois phases : avant, pendant et après la mise en place du système. L’étape de la mise en œuvre a permis la formation du personnel et l’ajustement des seuils de détection des anomalies ciblées. La phase d’utilisation consiste maintenant en l’envoi au centre d’information de radiologie des notifications concernant la priorisation des cas. Les radiologues peuvent choisir, selon leur jugement clinique, de les accepter ou de les rejeter.

L’IA au triage ?

Le Dr Clark connaît bien la question de l’applicabilité. Il a lui-même effectué, avec des collègues, une étude sur l’intelligence artificielle avec les données de l’urgence de l’Hôpital général juif3. L’équipe voulait déterminer si des systèmes d’apprentissage automatique pouvaient être plus performants que le système de triage habituel pour évaluer le risque qu’un patient se retrouve aux soins intensifs.

« On a testé trois différents types de modèles d’apprentissage automatique, explique le chercheur. Évidemment, ils ont mieux réussi que le système des codes de triage. Mais ce n’est pas surprenant, parce que ce dernier n’a pas pour but de prédire si un patient ira aux soins intensifs. Cette méthode nous permettait cependant de montrer que l’IA peut très bien déterminer quels patients auront besoin de cette unité. »

Le problème de la généralisation des résultats peut toutefois se poser. « Ce système va-t-il fonctionner dans la réalité ? Sera-t-il adapté à Baie-Comeau ou à Val-d’Or, alors que l’apprentissage automatique a été fait à Montréal ? »

Si des études prospectives confirment l’utilité de ce type de système, des modèles d’apprentissage automatique pourraient être intégrés aux prochaines versions de l’Échelle canadienne de triage et d’acuité pour augmenter sa capacité de discrimination et sa fiabilité.

Le dossier de santé numérique

Ce genre de technologie pourrait peut-être bientôt apparaître dans le réseau de la santé. Le dossier de santé numérique sera mis en œuvre par la firme américaine Epic qui dispose d’outils alimentés par l’IA. « Il y en a un qui s’appelle Epic Sepsis Model. Il analyse les signes vitaux, les résultats de laboratoire et les notes cliniques et les réévalue toutes les 15 minutes pour chaque patient, mentionne le Dr Clark. Si le malade présente un risque de bactériémie, de septicémie ou de choc septique, une alarme est envoyée au médecin. » Les résultats sont pour l’instant incertains, mais le principe est intéressant.

Les systèmes d’optimisation de la pratique reposant sur l’IA vont donc se multiplier. « Il y a beaucoup d’études sur la création de ces outils-là, mais il faut voir comment on peut les utili­ser dans la vraie vie », estime l’urgentologue.

Bibliographie

1. Wong A, Sapre A, Wang K et coll. Predicting agitation events in the emergency department through artificial intelligence. JAMA Netw Open 2025 ; 8 (5) : e258927. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2025.8927.

2. Vimalesvaran K, Robert D, Kumar S et coll. Assessing the effectiveness of artificial intelligence (AI) in prioritising CT head interpretation: study protocol for a stepped-wedge cluster randomised trial (ACCEPT-AI). BMJ Open 2024 ; 14 : e078227. DOI : 10.1136/bmjopen-2023-078227.

3. Grant L, Diagne M, Aroutiunian R et coll. Machine learning outperforms the Canadian Triage and Acuity Scale (CTAS) in predicting need for early critical care. CJEM 2025 ; 27 (1) : 43-52. DOI : 10.1007/s43678-024-00807-z.

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