Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Les questions sur les patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous sans annuler au préalable reviennent constamment, autant des médecins qui exercent en cabinet qu’en établissement. Revenons sur certaines des demandes.
Les médecins prennent beaucoup de fierté et de plaisir à servir leurs patients. Et ils ont aussi des impératifs de « productivité ». En cabinet, ils paient leur loyer grâce aux honoraires qu’ils gagnent en voyant des patients. La société met énormément de pression sur les médecins, en cabinet ou en établissement, pour qu’ils proposent des services permettant de soigner les maladies chroniques et les petits bobos des Québécois. Les patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous nuisent à cette volonté de maximiser l’offre. Le gouvernement en est conscient, mais n’en tient pas compte quand il demande aux médecins de voir plus de patients.
Nous avons déjà traité des multiples contraintes imposées par le Collège des médecins et la Loi sur l’assurance maladie (Question de bonne entente, Gestion des rendez-vous non respectés, mars 2018) et du fait qu’un médecin peut difficilement prétendre qu’une plage de rendez-vous est « perdue », car il peut voir un autre patient (et ainsi diminuer son retard) ou consacrer ce temps à remplir un formulaire ou à effectuer une autre activité rémunératrice.
Les leviers économiques pour encourager les patients à annuler leur rendez-vous lorsqu’ils n’en veulent plus sont donc limités. Certains médecins semblent quand même faire le nécessaire pour réclamer un montant pour les rendez-vous qui ne sont pas annulés au moins 24 heures à l’avance. Rappelons les conditions :
- il faut informer les patients de votre politique et des frais que vous facturez avant de donner le rendez-vous ;
- vous devez donner aux patients l’occasion d’annuler sans pénalité jusqu’à 24 heures avant le rendez-vous ;
- vous devez tenir compte des causes de force majeure.
Notez que vous ne pouvez pas demander de dépôt lors de la prise de rendez-vous. D’abord, parce que le Collège des médecins n’a pas adopté de règlement sur les comptes en fidéicommis pour les médecins et ensuite parce que la Loi sur l’assurance maladie interdit de rendre l’accès à un service assuré conditionnel au paiement de frais ou d’imposer un obstacle financier à l’obtention d’un service assuré. La RAMQ a toujours refusé de fixer un montant qui ne représente pas une telle barrière à l’obtention de soins, se limitant à indiquer qu’elle juge au cas par cas et que même une somme modeste (20 $) peut constituer un tel obstacle dans certaines situations.
Si vous décidez de facturer des frais pour les rendez-vous manqués, vous devrez les percevoir auprès des personnes en cause. Quand un patient consulte fréquemment, c’est plus facile. Toutefois, il pourrait être plus difficile de faire payer un patient orphelin qui s’est simplement inscrit dans une plage de votre service de consultation sans rendez-vous.
Quelles sont les options restantes ?
« Overbooking »
Vous pouvez toujours « faire payer tout le monde » en donnant délibérément plus de rendez-vous que vous avez de plages disponibles. C’est ce que font les transporteurs aériens et les hôtels pour éviter de se retrouver avec des sièges ou des chambres vides quand des personnes ayant des réservations ne se présentent pas. Dans le cas des transporteurs et des hôtels, les clients assidus en font rarement les frais, car l’entreprise peut prévoir des traitements différents en fonction de la classe de service et du statut de chaque client à son programme de fidélité. Mais même une telle stratégie comporte des coûts, notamment liés aux retards occasionnés par la gestion des « volontaires » qui acceptent de prendre un autre vol et à l’indemnité qu’ils reçoivent ou à l’obligation de payer une chambre dans un autre hôtel.
L’overbooking ou la restriction des rendez-vous constituent des « solutions » semées d’embuches et devraient être utilisés avec parcimonie.
Les médecins ne peuvent pas adopter une telle approche purement économique. Mis à part l’interdiction prévue au Code de déontologie d’exercer de façon trop commerciale, les médecins ne peuvent pas faire de distinction entre les patients, autrement qu’en fonction de leurs besoins. Et ils ne peuvent pas facilement offrir un rendez-vous un autre jour lorsque l’horaire déborde, l’équivalent de mettre un passager sur un autre vol. Enfin, comme ils devront en général voir l’ensemble des patients ayant un rendez-vous, ils devront possiblement payer des heures supplémentaires au personnel.
Bref, c’est une approche à utiliser avec prudence et parcimonie. Les médecins doivent être en mesure de s’adapter quand ils doivent prolonger leur journée.
Refuser de donner des rendez-vous
Les hôpitaux appliquent cette politique qui découle d’une directive ministérielle. Un patient qui manque trois rendez-vous sans les annuler au préalable ou sans avoir de justification valable n’obtiendra pas de nouveau rendez-vous, sauf si le médecin que le patient devait voir le réclame. On peut se demander comment un patient fera pour joindre un médecin spécialiste dans un gros hôpital anonyme. Mais au moins les hôpitaux ont généralement des systèmes efficaces de prise de rendez-vous et d’annulation ou de remise.
Les conséquences déontologiques d’une telle politique ne sont pas claires. On peut présumer que les médecins doivent se rendre disponibles pour discuter des motifs d’absence des patients et doivent avoir de bonnes raisons de refuser un nouveau rendez-vous à un patient. C’est difficile de croire qu’ils peuvent simplement se cacher derrière une politique gouvernementale.
Si les cabinets permettent facilement à des patients d’annuler leurs rendez-vous (par exemple avec différentes solutions technologiques de confirmation de rendez-vous), la « sanction » la plus réaliste pour ceux qui n’annulent pas est de limiter leur accès aux rendez-vous habituels. Un médecin ou une clinique pourrait ainsi réserver certaines plages aux « délinquants », en leur indiquant que l’heure exacte n’est pas garantie. Afin d’éviter de payer des heures supplémentaires au personnel, cette plage devrait se trouver dans une période où le personnel est déjà sur place pour d’autres raisons. Le médecin pourrait devoir prolonger sa journée si tous ces patients se présentaient. Au moins, il pourrait prévoir la plage en conséquence, si sa technologie de prise de rendez-vous le permet.
Chose certaine, un médecin ne peut pas simplement refuser des rendez-vous à un patient qui ne les respecte pas. Il doit y avoir une évaluation individualisée au préalable. Une discussion avec le patient récidiviste s’impose donc.
Il existe des moyens d’intervenir auprès de ces personnes, mais la sensibilisation et la prévention sont de mise. En outre, il est essentiel de faciliter l’annulation des rendez-vous par les patients.
Problèmes particuliers
Certaines pratiques peuvent poser des défis particuliers, surtout lorsque la durée des rendez-vous est longue (évaluation gériatrique) ou en cas de psychothérapie. L’absence d’un patient à une plage d’une heure, voire de 90 minutes, est un défi significatif (encadré).

Les rendez-vous à durée prolongée (dont la psychothérapie) posent des défis particuliers en cas d’absence imprévue d’un patient.
En établissement
Les médecins qui exercent en établissement ne paient pas de loyer, mais ils vivent des pressions comparables à celles des médecins en cabinet. Le mode mixte peut atténuer un peu la perte financière provoquée par l’absence d’un patient. Néanmoins, la rémunération du médecin peut être touchée, et il peut donc chercher une compensation.
Les médecins qui veulent mettre en place une politique prévoyant des frais pour les rendez-vous non respectés se butent alors souvent à une objection de l’établissement qui prétend que c’est interdit. Pourtant, rien ne l’empêche dans la loi. Le médecin pourrait toutefois faire face à certains obstacles : les patients pourront être surpris de devoir payer des frais dans un établissement, et ce dernier peut défendre à son personnel de participer à la perception des frais pour le médecin. Nous avons même entendu parler d’établissements qui refusaient l’affichage dans la salle d’attente des frais perçus par les médecins, affichage qui est par ailleurs imposé par le Code de déontologie. Les milieux empêchant l’affichage changent d’ailleurs habituellement d’avis quand ils constatent que c’est une obligation déontologique.
La variation du montant perçu selon la nature de la personne et son mode de rémunération peuvent également poser des problèmes. Les établissements défendent généralement aux IPS de facturer des frais pour remplir des formulaires, comme au sein des GMF en cabinet lorsqu’elles y exercent. Et on peut imaginer que le médecin rétribué à tarif horaire subit une perte moins importante que celui au mode mixte ou, à plus forte raison, à l’acte.
Le médecin n’étant pas un employé de l’établissement, il ne peut se faire imposer une règle par ce dernier comme les IPS. Cependant, l'établissement peut mettre plusieurs obstacles à la perception des frais. Le médecin devrait d’abord en discuter avec le chef du département ou le DSP et convenir des modalités requises, le cas échéant. Dans bien des cas, le médecin pourra conclure que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Quant à la psychothérapie en établissement, les contraintes de la pratique et l’importance de la perte financière liée aux rendez-vous non respectés pourront prendre le dessus.
Un établissement ne peut pas interdire à un médecin de facturer des frais pour les rendez-vous manqués ou d’autres services non assurés, mais il peut imposer différents obstacles.
Espérons que ces informations vous permettent d’y voir clair. Nous traiterons bientôt d’assurance invalidité. À la prochaine !