
M.Q. – Votre association a mené un sondage auprès de vos membres sur les répercussions possibles du projet de loi no 106. Qu’est-ce qui en ressort ? |
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S.D. • Tout d’abord, j’aimerais souligner que 28 % de nos membres y ont répondu. Pour notre association, c’est beaucoup, car le taux de réponse de nos précédents sondages n’a jamais dépassé 12 %. Ces chiffres signifient que les médecins sont très inquiets. Ce que l’on voit, c’est que la moitié des quelque 700 répondants songent à quitter la pratique médicale au Québec. Il ne faut pas penser que ce sont des paroles en l’air. Seulement dans mon petit cercle, je connais quatre médecins qui sont allés exercer dans d’autres provinces. Le sondage révèle par ailleurs que ce sont les plus jeunes qui sont les plus nombreux à vouloir se désengager : le taux est de 65 % chez les moins de 35 ans. |
M.Q. – Comment expliquez-vous cette réaction des jeunes médecins ? |
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S.D. • Premièrement, ils ont plus d’énergie pour faire des changements, que ce soit exercer dans une autre province ou même changer de carrière. Deuxièmement, la situation est plus difficile pour les jeunes parce qu’ils sont assujettis aux activités médicales particulières (AMP) et aux plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). En plus de se faire dire par le gouvernement quelles activités médicales ils peuvent faire et où ils peuvent exercer, ils se font blâmer, comme nous tous, pour le manque d’accès aux soins. Ce sont eux qui pâtissent le plus des mauvaises décisions politiques des trente dernières années. |
M.Q. – Êtes-vous étonné des résultats ? |
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S.D. • Un peu, tout de même. Je m’attendais à ce que la réaction la plus forte vienne des médecins de 55 ans et plus, car ils approchent de la fin de leur carrière et n’ont pas nécessairement envie de travailler encore plus qu’avant. Oui, ils envisagent des changements, mais dans une proportion moindre que les plus jeunes. En fait, environ la moitié des répondants de 55 à 64 ans songent à réduire leurs activités tandis que 20 % devanceraient leur retraite. |
M.Q. – Que pensez-vous d’une prise en charge collective de la population si le projet de loi no 106 est adopté ? |
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S.D. • Je me demande jusqu’à quel point c’est réaliste. Si je prends mon exemple personnel, j’ai 32 ans de pratique et ma patientèle compte 2000 patients. C’est déjà beaucoup. Si les patients orphelins sont répartis dans l’ensemble des cliniques, dont la mienne, est-ce que je serai capable d’en suivre davantage ? Je ne le pense pas. Quand un verre est plein à ras bord et qu’on y ajoute une goutte d’eau, il déborde. Si par ailleurs des médecins se voient obligés de désinscrire des patients pour assurer une prise en charge collective, nous ne serons pas plus avancés. La qualité des soins aux patients est une autre source d’inquiétude. Un médecin qui a plus de patients qu’il ne peut en suivre pourrait ne pas avoir d’autre choix que de réduire la durée des consultations. Il y aurait alors un risque de passer à côté de problèmes importants. |
M.Q. – Comment vos membres vivent-ils le climat de confrontation qui perdure malgré les changements de gouvernement ? |
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S.D. • Se faire dire sur la place publique qu’on ne travaille pas assez, qu’on est paresseux, cela affecte le moral. D’autant plus que certains patients reprennent le discours des politiciens. Par exemple, j’ai pris congé les 23 et 24 juin derniers pour la Saint-Jean-Baptiste, mais j’avais travaillé toute la fin de semaine. À mon retour, un patient me demande comment ont été mes vacances. Je lui réponds que mes dernières vacances remontent à un an. « Mais vous n’étiez pas là lundi », me dit-il. Une minorité de patients agissent ainsi, mais il en faut juste un pour gâcher notre journée. De plus, à la longue, ce genre de commentaire finit par nous atteindre psychologiquement. Le choix des mots qu’utilisent les élus sur la scène publique est également important. Quand un premier ministre parle de « se battre » avec le syndicat des médecins, quel message envoie-t-il à la population ? |
M.Q. – Avez-vous des préoccupations concernant plus précisément Montréal ? |
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S.D. • Depuis deux ou trois ans, certaines cliniques médicales de la métropole connaissent des difficultés financières. Plusieurs ont même fait faillite. Ce phénomène s’explique en partie par les départs à la retraite. Montréal fait partie des régions où l’âge moyen des médecins est le plus élevé. Or, les cliniciens plus âgés se consacrent souvent davantage à la prise en charge. Plusieurs d’entre eux suivent de 2000 à 3000 patients. Lorsqu’ils partent, on les remplace par des médecins plus jeunes qui, en raison des AMP, prennent moins de patients, soit de 500 à 1000. Il faut donc deux ou trois nouveaux médecins pour remplacer un médecin plus expérimenté. Il est d’un autre côté difficile de recruter des cliniciens, car les PREM limitent l’arrivée de la relève dans la métropole. Tous ces facteurs font en sorte que les GMF touchent moins de frais de cabinet et que leur financement gouvernemental diminue, ce qui réduit leur rentabilité. Cela dit, notre association collabore avec les Fonds FMOQ qui aident les cliniques à mieux s’organiser et à prévenir les problèmes de financement. |
M.Q. – D’ailleurs, vous souhaitez suspendre les PREM afin d’évaluer l’effet réel de ce système et d’expérimenter d’autres avenues ? |
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S.D. • Oui, notre association le demande depuis un an. Cela dit, nous sommes d’avis que les médecins devraient pouvoir s’établir où ils veulent. Ce n’est pas au gouvernement de décider pour eux. Si les PREM étaient abolis, la loi du marché s’appliquerait. Lorsque tous les postes à Montréal ou à Québec seraient pourvus, les médecins iraient exercer en banlieue ou en région. Mais avec les contraintes actuelles, plusieurs médecins diplômés au Québec préfèrent prendre leurs cliques et leurs claques et aller travailler ailleurs au Canada. |
M.Q. – Qu’en serait-il des régions qui peinent à recruter ? |
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S.D. • Nous pensons que ce n’est pas avec le bâton que l’on va répondre aux besoins des régions, mais avec la carotte. Il faut bonifier les mesures incitatives. En région périphérique, il en faut quelques-unes, dans les régions éloignées, un peu plus, et dans les régions isolées, encore plus. Oui, il pourra y avoir des années où moins de médecins iront en région, mais il y en aura aussi où un certain nombre voudront s’y installer. Et les incitatifs en place les encourageront à prendre cette décision. Donc, suspendons les PREM pendant deux ou trois ans pour voir ce qui se passe. Comme ce système n’a pas réglé le problème de pénurie de médecins dans certaines régions, il faut essayer autre chose. |
M.Q. – En terminant, si vous aviez une baguette magique, comment travailleriez-vous ? |
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S.D. • Mon modèle idéal de pratique serait de travailler avec deux infirmières, ce qui me permettrait de prendre en charge de 3000 à 4000 patients. Avec plusieurs ordonnances collectives et en déléguant aux infirmières et à d’autres professionnels de la santé une partie du travail, nous pourrions maximiser l’efficacité de tous. |