Un groupe de travail de la FMOQ s’est récemment penché sur le lien entre la santé publique et les milieux cliniques de première ligne. Son constat : la collaboration entre ces deux secteurs est insuffisante. La première ligne est en effet centrée sur la santé des individus, tandis que la Santé publique met l’accent sur la population. Or, une meilleure intégration des deux permettrait d’agir plus efficacement sur les déterminants de la santé, d’adapter les interventions aux besoins des collectivités et de mieux soutenir les populations plus vulnérables.
Dans cette optique, des projets pilotes auront lieu cet automne dans trois GMF des régions de Québec, de la Mauricie–Centre-du-Québec et de la Montérégie. L’objectif est de renforcer la collaboration entre les milieux cliniques de première ligne et la Santé publique par des approches locales et adaptées aux réalités cliniques. Ainsi, chaque GMF participant sera jumelé à un représentant de la Santé publique pour analyser un problème et élaborer un plan d’amélioration en se basant sur les données de Repères GMF. Le duo testera ensuite une ou deux idées de changement.
Pour la Dre Julie Roy, membre du groupe de travail de la FMOQ et clinicienne au GMF-CLSC Samuel-de-Champlain, à Brossard, les projets pilotes pourraient ouvrir la porte à une plus grande collaboration avec la Santé publique. « Cela permettrait de s’assurer que les services offerts correspondent aux besoins, mais aussi de mieux les planifier dans les années à venir », estime celle qui est aussi médecin-conseil à la Direction de santé publique de la Montérégie.
La Dre Roy donne l’exemple d’un GMF qui voit le nombre de suivis de grossesse augmenter d’une année à l’autre. « La prochaine fois qu’un médecin s’ajoutera à l’équipe, il faudrait peut-être s’assurer qu’il a un intérêt pour la pédiatrie. »
Grâce à la collaboration avec la Santé publique, les cliniques médicales pourraient aller plus loin encore en obtenant le portrait de la population couverte par un réseau local de services (RLS). « Avoir des données populationnelles éviterait d’être pris de court par le vieillissement de la clientèle qu’on n’a pas anticipé, par exemple, ou par une hausse de la toxicomanie, indique la Dre Roy. On ne peut pas tout prévoir, mais il y a des situations qu’on peut voir venir grâce aux données. »
Éviter d’alourdir le fardeau des médecins de famille

Le profil d’une population ne doit pas se limiter à la prévalence des maladies. « Si on ne regarde que l’état de santé des gens, la solution se trouvera seulement dans la première ligne, avertit la Dre Lynda Thibeault, médecin spécialiste en santé publique au CISSS de Lanaudière. On va constater qu’il y a beaucoup d’hypertension, de diabète et d’autres maladies chroniques, et tout reposera sur les épaules des médecins de famille. »
Pour éviter ce piège, explique-t-elle, il faut également appuyer son analyse sur les déterminants de la santé comme l’âge, l’alimentation, l’activité physique, la consommation de substances psychotropes, l’éducation, le soutien social, etc.
Avec son équipe, la Dre Thibeault a réalisé des portraits de la population de Lanaudière dans le cadre d’un vaste projet de proximité. L’expérience a commencé à Saint-Michel-des-Saints, où se trouve un CLSC, mais où il n’y a aucune clinique médicale. Les médecins du GMF de Saint-Donat se déplacent pour assurer le service de consultation sans rendez-vous au CLSC, qui est à 100 km. « Si on s’était basé uniquement sur les données de santé, la demande aurait été d’ouvrir un cabinet de médecins de famille, affirme la spécialiste. Le maire, le directeur d’école, tout le monde aurait réclamé des médecins à Saint-Michel-des-Saints. »
Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. L’approche populationnelle, au contraire, invite à une collaboration entre les différents acteurs de la collectivité (écoles, garderies, organismes communautaires, municipalités, police, etc.) pour agir en amont sur les déterminants de la santé. Dans Lanaudière, une table des partenaires a été formée. « Nous avons ainsi travaillé de manière intersectorielle, et chacun a contribué à sa façon à améliorer l’accès aux soins et la santé de la population », dit la Dre Thibeault.
Elle constate par ailleurs que la table des partenaires s’est avérée précieuse pour expliquer ce qui se cachait derrière les statistiques. « Pour savoir, par exemple, pourquoi la couverture vaccinale des enfants est insuffisante à leur entrée à l’école, nous avions besoin d’informations tirées de l’expérience des acteurs du milieu, dont le médecin de famille. » Parmi les autres problèmes révélés par l’analyse de la population, citons les taux élevés de suicides, de décrochage scolaire, d’hospitalisation chez les enfants de moins de 1 an et de signalements retenus par la Direction de la protection de la jeunesse.
Un projet inspirant
S’éloigner d’une vision centrée sur les soins individuels pour mettre en œuvre des actions et des programmes qui profitent au plus grand nombre, c’est ce qui est en cours dans plusieurs municipalités de Lanaudière. Parmi les initiatives, il y a celle du CLSC de Saint-Michel-des-Saints qui fonctionne désormais selon une approche « pas de mauvaise porte ». Cela signifie que toute personne cherchant de l’aide sera prise en charge. Une gestionnaire de proximité a ainsi la responsabilité d’orienter ceux qui demandent de l’aide vers le bon programme ou le bon intervenant.
La Direction de santé publique a pour sa part organisé et animé un chantier pour faire connaître les services du CISSS et des organismes communautaires. « Les médecins et les autres acteurs du milieu ne sont pas toujours au courant des services offerts par les organismes de leur territoire. Avec ce chantier, nous souhaitions améliorer les ‘’référencements’’, par exemple diriger une maman de plusieurs enfants vers une maison de la famille où elle pourra obtenir de l’aide », indique la Dre Thibeault.
Des programmes préventifs en santé publique sont également offerts : le programme PIED sur la prévention des chutes chez les personnes âgées et le programme Gardien du sourire qui procure des scellants dentaires gratuits aux enfants des familles vulnérables.
Le projet de proximité de Lanaudière comporte plusieurs autres volets et s’est étendu à différents secteurs de la région1. Pour ce qui est des projets pilotes de la FMOQ, ils pourraient bien ouvrir la voie à une nouvelle façon de travailler avec la Santé publique pour le plus grand bien de la population.
1. Pour en savoir plus, voir l’entrevue avec le Dr Philippe Melanson, président de l’Association des médecins de CLSC du Québec : « Un modèle de soins qui inclut tous les partenaires de la collectivité » (février 2025) (http://bit.ly/40zE0RM).
Santé publique
Une voie intéressante pour les médecins de famille
L’apport des médecins de famille en santé publique est essentiel. « Ils ont une connaissance approfondie de l’environnement clinique, ce qui est très pertinent, car ils peuvent s’appuyer sur cette expérience pour gérer les situations de santé publique », souligne la Dre Joane Désilets, chef du Département clinique de santé publique de Lanaudière et coordonnatrice médicale de l’Équipe de prévention et de contrôle des maladies infectieuses.
Elle-même omnipraticienne, elle mentionne qu’il peut être intéressant pour un médecin de famille d’exercer en santé publique en complément de sa pratique médicale habituelle. D’ailleurs, la polyvalence des médecins de famille est un atout. « Souvent, les médecins choisissent des mandats liés aux champs d’intérêt qu’ils ont déjà dans leur pratique, indique la Dre Désilets qui détient une maîtrise en santé communautaire. Par exemple, il est possible de travailler sur les programmes de dépistage du cancer, les enquêtes de maladies à déclaration obligatoire, la lutte aux infections nosocomiales, la santé maternelle, la santé environnementale, la santé au travail et plus encore. »