M.Q. – La pratique médicale est de plus en plus lourde. Que faire pour l’alléger ?
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Y.M. • Je ne suis pas le seul à le dire : il faut investir davantage en première ligne. Je pense en particulier à l’ajout de professionnels dans les GMF. Lorsque la FMOQ a négocié l’entente sur l’accès aux soins et l’inscription collective, qui a mené à la création du Guichet d’accès à la première ligne (GAP), le gouvernement affirmait qu’un patient sur deux serait vu par un autre professionnel de la santé. Cela ne s’est pas concrétisé. En réalité, les médecins reçoivent environ 80 % des cas parce que leurs collègues des autres professions de la santé sont en nombre insuffisant dans les cliniques. Nous avons négocié avec le gouvernement de bonne foi, mais il n’a pas tenu sa promesse. |
M.Q. – Quelles solutions peut-on envisager ?
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Y.M. • Dans la région de Chaudière-Appalaches, l’accès aux psychologues est très difficile. Il en faudrait plus. Il serait par ailleurs intéressant de leur accorder plus d’autonomie, notamment pour le suivi des arrêts de travail en raison d’une dépression. Pour ce qui est du traitement pharmacologique de cette maladie, la visite médicale reste nécessaire. Je pense cependant que les psychologues sont capables de gérer les arrêts de travail. Cela donnerait plus de temps aux médecins pour voir des patients. Un autre exemple : les physiothérapeutes. Ils ont maintenant le droit de prescrire certaines radiographies, et c’est une bonne chose. Des études ont par ailleurs montré que l’accès direct à un physiothérapeute est bénéfique pour les patients. Bref, ces professionnels pourraient participer plus activement aux soins. Le problème vient du fait que les patients doivent payer eux-mêmes les honoraires. Par conséquent, plusieurs préfèrent voir leur médecin, parce que la consultation est couverte par l’assurance maladie. Cette situation constitue un frein à la collaboration interprofessionnelle. S’il y avait plus de ressources dans les cliniques, les patients pourraient être vus par le bon professionnel au bon moment. |
M.Q. – Y a-t-il d’autres facteurs qui contribuent à la lourdeur de la pratique ?
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Y.M. • La médecine a considérablement évolué depuis mes débuts en médecine il y a 40 ans. L’éventail de traitements offerts est beaucoup plus large qu’avant, ce qui signifie que les médecins passent plus de temps à se tenir à jour et à faire les suivis des tests prescrits. Maintenant, les gens vivent également plus longtemps avec des maladies chroniques qui exigent un suivi régulier. J’ajouterais que lorsqu’on a, comme moi, une patientèle comptant de nombreuses personnes âgées, on est souvent appelé à remplir un rapport médical lors de l’homologation d’un mandat d’inaptitude. Cette tâche s’additionne à toute la paperasse habituelle. L’aide médicale à mourir est un autre soin lié à une lourdeur administrative. Elle est majoritairement administrée par des médecins de famille. Chaque fois, ils doivent consacrer plusieurs heures à remplir des documents. Même chose pour les demandes anticipées. |
M.Q. – À la lumière de votre longue pratique, comment voyez-vous l’avenir de la médecine familiale ?
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Y.M. • La médecine de famille est une spécialité et elle le sera de plus en plus. Quand la collaboration interprofessionnelle est présente, les médecins voient une majorité de patients très hypothéqués. Ils deviennent en quelque sorte des spécialistes des cas lourds. Le gouvernement doit toutefois comprendre que le débit de patients par heure n’est alors plus le même. Ce n’est pas vrai qu’on peut régler des cas complexes en dix minutes. Même lorsque mon infirmière auxiliaire voit au préalable mes patients les plus malades, ça me demande ensuite de 20 à 30 minutes pour faire le tour avec eux de ce qu’il y a à régler. Le gouvernement va sur la place publique pour dénigrer les médecins. Il prétend qu’on ne travaille pas assez, il parle de productivité. Mais la productivité ne se limite pas à des chiffres. C’est aussi offrir un service de qualité aux patients et prendre le temps de bien leur expliquer les choses ou de régler deux ou trois problèmes. Il s’agit de quelques minutes de plus avec le patient qui permettent parfois d’éviter une visite plus tard. |
M.Q. – Comment ont réagi vos membres au projet de loi no 106 concernant la responsabilité collective des médecins quant à l’amélioration de l’accès aux services médicaux ?
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Y.M. • Mal. Ce projet de loi affecte beaucoup les troupes. Après tout le travail qu’ont accompli les médecins de famille pendant la pandémie et dans le cadre de l’inscription collective, l’attitude du gouvernement dénote un manque de respect et de reconnaissance. C’est inacceptable. Si ce projet de loi est adopté, il va créer une importante démotivation chez les médecins et des départs précipités à la retraite. Je suis moi-même proche de la retraite et j’envisage de changer mes plans. |
M.Q. – Qu’allez-vous faire ?
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Y.M. • Je pensais diminuer progressivement mes activités à compter de janvier 2027. Maintenant, je ne sais plus. Pour continuer à exercer, je dois être motivé, ce qui n’est pas évident ces temps-ci. Il y a aussi le manque de relève qui compromet mon projet de retraite. L’an dernier, pour commencer à ralentir et me préparer mentalement, j’ai transféré un bloc de 60 patients à un nouveau facturant. Je comptais faire de même cette année. Cependant, aucun nouveau médecin ne s’est joint à notre clinique et mes collègues ont déjà une grande patientèle. Je pourrais transférer une partie de mes patients au GAMF, mais dans le contexte actuel de pénurie de médecins, j’ai de la difficulté à m’y résoudre. Il me reste environ 1450 patients, dont plusieurs sont âgés. J’espère voir arriver de nouveaux médecins avant de partir. |
M.Q. – Quelle est la situation concernant le plan régional d’effectifs médicaux cette année ?
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Y.M. • C’est désolant. Dans Chaudière-Appalaches, le principal territoire couvert par notre association, huit des 18 places proposées aux nouveaux facturants n’avaient pas trouvé preneurs en date du 22 mai. Par exemple, en Nouvelle-Beauce, où j’exerce, les deux postes offerts sont toujours vacants. Même situation au réseau local de santé de Beauce qui avait droit à trois finissants en médecine. Pour ce qui est des médecins déjà en pratique, aucune des neuf places n’est pourvue. C’est un phénomène assez récent pour nous, mais qui peut entraîner d’importantes conséquences sur la couverture des services. J’espère que le campus délocalisé de la Faculté de médecine de l’Université Laval, ouvert en 2022, nous aidera à recruter dans les prochaines années. Après sa première année dans la région, j’ai d’ailleurs invité une étudiante à faire un stage d’observation d’une semaine dans mon GMF. Elle a beaucoup aimé son expérience. Ce type de mesure pourrait éventuellement faciliter le recrutement. |
M.Q. – Avez-vous d’autres solutions aux difficultés de recrutement ?
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Y.M. • Je pense qu’il faudrait accorder des activités médicales particulières (AMP) en prise en charge. Ça se fait déjà, mais c’est exceptionnel, et l’approbation du Département territorial de médecine familiale est nécessaire. Les besoins en prise en charge sont immenses. Pourquoi empêcher un jeune médecin qui le souhaite d’y consacrer la totalité de sa pratique ? Deux millions de Québécois n’ont pas de médecin de famille. Il y en aurait beaucoup moins si des AMP de prise en charge étaient offertes. |