En fin... la facturation

Nouvelles formes de psychothérapie

Michel Desrosiers | 1 août 2025

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Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

On entend de plus en plus parler de psychothérapie pendant que le patient est sous l’effet de différentes drogues psychoactives. Ces traitements posent des problèmes particuliers pour le médecin participant qui veut les offrir hors d’un établissement en raison des différentes contraintes qu’impose la Loi sur l’assurance maladie, qui peuvent être d’intérêt général. Traitons-en !

Psilocybine, MDMA, kétamine, autant de noms de produits qui évoquent l’exotisme ou l’utilisation récréative intentionnelle ou accidentelle. Mais de plus en plus, on entend parler de ces produits dans le traitement de problèmes de santé mentale rebelles, comme la dépression réfractaire ou le syndrome de stress post-traumatique. Certains médecins veulent offrir ces services, et c’est à ce moment que les questions surgissent.

Assuré ou non ?

La première chose que le médecin doit faire est d’établir si le service est assuré. Le fait qu’il n’existe pas de code d’acte spécifique n’est pas déterminant, car l’entente est toujours en retard sur l’évolution de la science. Il faut s’en remettre à l’évaluation des sociétés savantes ou des organismes qui font des recommandations comme l’INESSS. La RAMQ les applique. En l’absence de consensus, la RAMQ doit se faire une idée aux fins d’application.

Alors qu’en est-il ?

Le recours à la psilocybine est en évolution. Ce service est couvert. Les parties négociantes ont d’ailleurs prévu qu’un médecin pouvait réclamer l’intervention clinique lors d’une thérapie sous l’effet du produit. Toutefois, il n’existe aucune recommandation formelle sur son utilisation. Cette dernière pourrait donc être limitée à des essais cliniques. Dans tous les cas, il faut s’assurer que le patient est adéquatement informé des preuves limitées et des risques associés.

En ce qui a trait à la kétamine, il s’agit d’un produit homologué par Santé Canada pour une utilisation clinique, surtout comme produit anesthésique. Par conséquent, l’INESS a émis des recommandations sur l’usage parentéral dans le traitement de la dépression qui en limite l’administration aux seuls établissements.

Dans le cas de l’eskétamine, elle est approuvée pour le traitement de la dépression majeure réfractaire, et son administration intraveineuse requiert une surveillance de deux heures selon Santé Canada et l’INESSS.

Par contre, la kétamine et l’eskétamine ne sont pas homologués pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique. Leur utilisation par un médecin est un service assuré dans le cadre du premier contexte, mais non du deuxième.

Pour la MDMA (Ecstasy), son utilisation n’est pas encore reconnue, que ce soit pour le traitement de la dépression majeure, des troubles anxieux ou du syndrome de stress post-traumatique. L’Agence canadienne du médicament n’en recommande d’ailleurs pas l’utilisation clinique, et l’INESSS n’a pas fait de recommandations. Certains médecins s’en servent dans un contexte clinique, mais cette utilisation n’en fait pas un service assuré pour autant. Il pourrait donc être plus prudent de limiter son utilisation au cadre expérimental.

De ces réalités découlent les conséquences suivantes pour la facturation des services associés.

L’évaluation

D’abord, l’évaluation d’un patient pour déterminer s’il pourrait bénéficier d’un de ces traitements est un service assuré dans la mesure où la consultation se fait dans le cadre d’une démarche diagnostique et du choix des traitements possibles. Toutefois, ce n’est pas le cas lorsque le seul but de l’évaluation est l’administration d’un traitement non assuré. Selon l’interprétation de la RAMQ, un tel « service » comprend l’évaluation préalable et le suivi subséquent qui sont habituellement associés au service rendu. Prenons un exemple dans un autre secteur de pratique. La visite pour enlever les points de suture après une intervention esthétique non assurée n’est pas assurée et ne peut donc être réclamée à la RAMQ. Si la visite était nécessaire du fait que le patient présente des signes d’infection ou une douleur anormale, ce serait différent. La visite pourrait alors être facturée à la RAMQ.

Vous aurez donc compris que la visite d’évaluation en vue d’un possible traitement par un de ces quatre produits pourra être facturée à la RAMQ, tout comme la consultation ou la psychothérapie pour un traitement de psilocybine ou de kétamine (dans ce dernier cas pour la dépression majeure réfractaire). Toutefois, la consultation pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique en association avec la kétamine, l'eskétamine ou la MDMA devra être facturé au patient.

Accès au produit

Avant de procéder à l’administration et à la thérapie, il faut s’assurer d’avoir le produit. La kétamine et l'eskétamine sont des produits homologués. Elles sont donc en principe offertes en pharmacie. Les autres produits sont des substances contrôlées. Un processus particulier permet cependant aux médecins d’en acheter, d’en posséder, d’en vendre et de s’en servir à des fins thérapeutiques. Il faut faire une demande au Programme d’accès spécial relatif à la psychothérapie assistée par des psychédéliques géré par Santé Canada.

L’autorisation est formulée de cette façon du fait que, sans elle, ces trois gestes seraient des infractions au Code criminel et entraîneraient des sentences assez lourdes en cas de condamnation. Néanmoins, certains médecins y voient la permission de vendre ces produits aux patients qu’ils traitent, malgré les règles de la Loi sur l’assurance maladie. Il n’en est rien. Comme pour tout autre traitement, il faudra déterminer si le service est assuré. En outre, les règles de la Loi sur l’assurance maladie et les règles déontologiques s’appliqueront, comme pour tout autre traitement médical. Nous allons y revenir.

L’autorisation met à l’abri le médecin des accusations de possession ou de trafic de substances interdites. Bref, les praticiens n’ont pas à craindre que la police soit à leurs trousses, tant que l’utilisation qu’ils en font est celle qui était visée par l’autorisation. En ce qui a trait à la RAMQ, c’est autre chose.

Le médecin autorisé doit s’approvisionner auprès d’un fournisseur pharmaceutique autorisé afin de s’assurer de la pureté du produit obtenu. L’achat auprès d’une source non officielle ne permet pas de connaître avec certitude la composition exacte du produit. Malheureusement, le prix de ces produits auprès de fournisseurs autorisés est très élevé, parfois plus de 1000 $ la dose. Du fait de leur nature, du marché restreint et du faible volume de production, les prix ne se comparent pas à ceux d’autres médicaments à distribution générale.

L’accès au produit découle d’une démarche administrative préalable qui doit être effectuée à chaque utilisation. Le médecin doit remplir le formulaire et le transmettre aux autorités compétentes. Le médecin peut donc se demander s’il peut réclamer le tarif pour la demande d’autorisation du médicament d’exception. Malheureusement, comme il s’agit d’une formalité imposée par la loi, et non d’une démarche administrative visant la couverture possible du produit par un assureur ou un régime social, ce n’est pas le cas.

Lorsque le service ou l’administration est assuré par la RAMQ, il n’est pas permis de facturer des frais au patient pour remplir le formulaire. Dans le cas contraire, la rédaction du formulaire faisant partie du service non assuré, le médecin pourra la facturer au patient.

Possibilité de fournir le produit

En cabinet, lorsqu’il s’agit d’un service assuré, il n’est pas permis de vendre le produit administré au patient. Soit le CISSS local le fournit aux médecins, soit le patient l’obtient en pharmacie. Cette contrainte est lourde dans le cas de la thérapie assistée par la psilocybine, car le produit n'est pas distribué par le gouvernement et n’est pas vendu en pharmacie. Aussi bien dire que ce service est seulement accessible en établissement.

En ce qui a trait au matériel requis pour l’administration (de la kétamine en perfusion, par exemple), lorsque l’indication de traitement en fait un service assuré, il n’est pas permis de facturer des frais pour compenser son coût, du moins quand c’est le médecin qui l’administre.

Lorsque le traitement n’est pas assuré (psychothérapie sous MDMA ou traitement du syndrome de stress post-traumatique à l’aide de kétamine et l'eskétamine), il est permis de vendre le produit au patient. Normalement, la vente de MDMA serait une offense criminelle (trafic de produit interdit), mais pas avec l’autorisation décrite antérieurement dans un cadre thérapeutique. Toutefois, le Code de déontologie des médecins prévoit qu’un médecin ne peut pas rechercher d’avantage financier de la prescription d’un médicament qu’il administre (art. 73). C’est donc dire que la vente du produit ne doit pas constituer une source de revenus. En ce qui a trait aux fournitures, lorsque la vente est permise, le Code de déontologie prévoit qu’un médecin ne peut pas demander un montant disproportionné (art. 76).

La rémunération de l’administration

Vous aurez compris que la rémunération de la supervision de l’administration ou de la thérapie assistée par des produits psychédéliques dépendra du statut du service. Lorsque le produit n’est pas assuré, le patient devra payer à la fois le service et le produit si le médecin a dû se le procurer et le fournir. Lorsque le produit est assuré, le patient n’a rien à payer, les services étant facturés à la RAMQ.

Mise en garde

La recherche dans ce secteur étant en pleine ébullition, la situation pourrait très bien changer dans les prochains mois ou les prochaines années. Les médecins qui veulent offrir de tels services ont intérêt à suivre l’évolution de la science à cet égard.

Notez bien que la RAMQ comble parfois un vide lorsqu’il n’y a pas d’évaluation ni de recommandation formelle d’un organisme comme l’INESSS. Elle n’a pas le choix pour être en mesure de répondre à des demandes de remboursement des patients ou de fournir de l’information aux personnes assurées. Toutefois, comme il ne s’agit pas de sa mission première, elle n’a pas de personnel chargé de la surveillance continue de la littérature pour juger du statut de différents traitements. Elle évalue sporadiquement certains services en fonction des demandes qu’elle reçoit. Son évaluation pourrait donc changer subitement. Si de tels changements devaient survenir, la Fédération tentera de vous en informer le plus rapidement possible afin de réduire les surprises le plus possible.

Si vous envisagez d’offrir les services décrits dans le présent article, tenez compte des contraintes imposées par la Loi sur l’assurance maladie. Bonne facturation !

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